Oh, marais, vilain marais

On dirait, en été, une steppe sans limites, aux nuances aussi changeantes que celles de la mer.
On y marche sur un terrain élastique, tressé d’herbes, de bruyères, de jonc. À mesure qu’on avance, le terrain se fait de moins en moins solide sous les pieds : bientôt on enfonce dans l’eau jusqu’à mi-jambes et, lorsqu’on arrive au cœur du Yeun, on se trouve devant une plaque verdâtre, d’un abord dangereux et d'une allure traîtresse, dont les habitants du Royaume prétendent qu’on n’a jamais pu sonder la profondeur.
C’est le vestibule sinistre de l'infernale guerrière, le trou béant par lequel passe Trompe la mort pour rentrer dans sa vieille baraque, là-bas . Cette flaque parfois se met à bouillir.
Malheur à qui s’y pencherait à cet instant s'il n'est pas avec elle : il serait saisi, entraîné, englouti par les puissances invisibles des marais. Dès qu’un visiteur trop curieux est avalé par le trou de vase, il faut se coucher à plat ventre sur le sol et se boucher fortement les oreilles. Car un tremblement formidable secoue aussitôt les entrailles du Marais et d’horribles clameurs déchirent les airs.
Il faut alors attendre avant de se remettre en route, que le « sabbat » ait pris fin.
Et on se sauve au plus vite, en se donnant bien garde de tourner la tête pour regarder derrière soi. Malheur à qui enfreindrait cette règle.
Des bras invisibles s’attacheraient à lui et l’attireraient dans les profondeurs invisibles à son tour.
Ce qui ajoute à la tristesse des lieux, c'est le brouillard qui s'épaissit le soir sur les roseaux; c'est la pluie fine qui tombe, tenace, ensevelissant sous son ombre grise les reliefs.
Il n'est guère de lieux dans le Royaume où le visiteur se sente davantage en proie aux forces aveugles de la nature.
Il faut un guide habile pour explorer les abords de ces dangereuses nappes verdoyantes, gazon trompeur, croûte solide en apparence, sous laquelle tremble l'abîme traître de ces marais de Yeun, que les gens nomment ioudic, "petite bouillie", un nom qui caractérise exactement ces perfides fondrières.
On imagine ce que doit être la solitude de la vie de cette âme errante qu'est TLM.
On comprend la terreur qui doit l'étreindre quand, de la chapelle qui jouxte la bâtisse, elle regarde la nuit tomber sur le marais, corridor de l'Enfer, où les âmes des défunts, sous forme de feux-follets viennent roder à la nuit tombante et incendier la maigre végétation.
Quand dans le silence des abois furieux résonnent, comme des chiens qui s’entre-déchirent.

Mais elle n'en dira jamais rien. A personne.