La Forêt de Sessia

Elle s'étend sur 9 000 hectares.
De grands arbres aux ramures verdoyantes offrent un contraste symbolisant la « porte d’entrée » dans un jeu d’ombres et de lumières. L’énergie du lieu est douce, presque suave, la petite pluie du matin exacerbe les odeurs de terre et de mousse humide. Vous vous enfoncez doucement dans les bois.

Durant les jours pluvieux et brumeux, les bois baignent dans une pénombre surnaturelle seulement traversée par les rares rayons du soleil ou de la lune qui parviennent à y pénétrer.
Mais durant les jours ensoleillés, il est possible de regarder le ciel bleu, les étoiles la nuit,
et aussi des courants magiques qui affleurent à la surface même du sol.

Les arbres sans recevoir dans leur feuillage le moindre souffle de vent, se hérissent et frissonnent d'eux-mêmes. Les habitants de la Ville-Basse sont effrayés de voir les arbres du bois se tordre avec des bruits affreux, tandis que d'autres, dans la vallée, restent immobiles n'y pénètrent plus, convaincus qu'une légion d'esprits aériens vivent ici. Le bruit du vent dans les arbres produit pourtant parfois des harmonies curieuses et envoûtantes, il s'y mêle le son de quelque instrument lointain.

On entend après le crépuscule les sons d'une lyre dans les bois du Royaume.
Il faut se hâter de fuir, en se bouchant les oreilles, du côté opposé à celui où retentissent les magiques accords, autrement on se sent entraîné à sa suite par une force irrésistible. Ceux qui n'ont pas pu se soustraire à ce charme puissant ont eu les visions les plus étranges : la mousse de la forêt se couvrait de fleurs étincelantes comme des diamants; du sein des arbres, aux branches d'or et d'argent, sortaient des femmes nues d'une grande beauté, et partout dans les airs, on entendait l'invisible lyre.
Mais toutes ces merveilles étaient insaisissables.
Le mirage ne s'évanouissait qu'aux premiers rayons du jour : alors des rires moqueurs succédaient aux mélodieux chants de la nuit, et celui qui s'était laissé prendre était tout étonné de se trouver au milieu d'une mare ou parmi les ronces, loin de la forêt de Sessia, rejeté par elle.
Parfois, au vent se mêle un bruit de pas, de branches froissées, des galops furieux et des hurlements, et, si la lune est dans son plein, on voit des milliers de créatures se livrer à des combats sans merci.

Dans la partie Ouest de la forêt le vent ne souffle jamais.
Derrière une herse d’arbres et de racines entrelacées qui coupe la vue, à quelques mètres à peine on trouve "le Miroir aux Fées", sur son eau sombre et légèrement rougeoyante se reflète la beauté du paysage environnant. C'est un lac dans lequel cinq fées vécurent en se jurant les unes aux autres qu'elles ne regagneraient pas la surface, jusqu'au jour où l'une d'entre elles tomba amoureuse d'un mortel. Les autres fées, voyant cela, décidèrent de tuer l'homme. Devinant à son retour ce que les autres avaient fait, la fée les tua et retourna dans le lac. Désormais, lorsqu'une fée voulait lire l'avenir, elle devait payer un droit avec un grain de blé. Le nom de miroir a été donné au lac car la forêt qui l'entourait était tellement dense que le vent n'y passait pas, rendant la surface de l'eau tout à fait immobile.

Plus loin on traverse une petite rivière couleur rouge-orangé, gorgée de fer. Vous avancerez tant bien que mal au milieu des branchages, pour rejoindre un chemin normal, mais vous vous retrouverez nez à nez avec une petite rivière asséchée qui vient couper perpendiculairement le chemin de terre et qui semble s’enfoncer dans une partie de la forêt où seuls les animaux pénètrent. L’impression prenante que vous devez suivre ce chemin de traverse s’imposera comme une évidence, et l’ombre furtive d’un animal (probablement une biche) vous confortera dans cette idée.
Ici, le chemin n’aura rien d’une promenade.
Le sol sera glissant et peu tracé, simplement emprunté par les animaux qui ont malgré tout fini, par leurs passages successifs, par définir un semblant de sentier dans une périlleuse et magnifique montée.
Un grand rayon de soleil au milieu des nuages grisonnants percera sur votre gauche et découvrira une petite clairière située au sommet d’une colline. Le petit chemin tracé par des animaux continuera sa route sur la droite… bien entendu c’est à gauche, en direction de la clairière, que vous serez attiré. Un corbeau géant que vous n'aurez pas repéré s’envolera peut-être de l’arbre situé à quelques mètres de vous en direction de cet espace dégagé, comme une invitation à prendre ce chemin.

Poussant tant bien que mal les broussailles mêlées de ronces et d’orties, vous émettrez peut-être quelques réserves en voyant le chemin qui vous attend pour monter, tout en vous disant que vous feriez peut être bien de faire demi tour, après tout personne ne sait que vous êtes là et vu la tête de la montée et votre éloignement du chemin principal, si vous tombez, personne ne vous retrouvera…
Alors que, perturbé par ces interrogations, vous commencerez à avoir quelques doutes, vous apercevrez au sommet de la colline un grand et majestueux arbre dans lequel le vent s’engouffre, produisant un son étrange et envoûtant.

Vu de là-haut cette forêt n’a plus rien à voir avec celle que vous croisez en bas. Autour de vous s’égaye toute une faune et une flore qui, quelques centaines de mètres plus bas, n’existait pas.
Un lièvre s’enfuit sans précipitation pour aller se cacher dans un petit bosquet. Des bruyères roses et violettes apportent des pointes de couleur au milieu d’une herbe parfois verdoyante, parfois asséchée par le soleil, le tout avec une vue donnant non seulement sur toute l’étendue de la forêt, mais également sur les autres petites collines. Sans le savoir, vous venez de gravir l’une des plus hautes collines du coin et vous dominez toute une partie de la vallée.

En avançant tranquillement, vous arrivez au pied du chêne. Il est beau et majestueux, extrêmement âgé. A ses pieds, de l’herbe couchée, signale l’habituelle présence d’un animal de grande taille ayant transformé le lieu en lit de fortune. Ce chêne rosé passe pour être hanté. Un garçon des environs aurait promit à une servante de lui donner une paire de beaux souliers si elle consentait à aller, à minuit, crier quelque chose sous le chêne. La jeune fille partit, mais on attendit en vain son retour.
Le lendemain, on trouva au pied de l'arbre sa coiffe tachée d'une goutte de sang et ses sabots. Depuis, on assure que l'on entend parfois, en plein midi, sortir du chêne une voix qui crie :
« Rends-moi mes souliers! »

Là-bas vit aussi l'Hutsi, un grand gaillard tout habillé de vert, qui se cache dans les bois. D'une voix tantôt sonore, tantôt voilée, il ébranle les échos, il éveille les fées endormies dans les profondeurs du couvert. Il couche sur la mousse, ou vit perché sur les plus hauts sapins. Lorsqu'une branche sèche tombe, c'est lui qui l'a touchée; lorsque les feuilles brunes tourbillonnent en rondes, c'est lui. Lorsque la neige s'écroule de branche en branche et tombe en farine, c'est encore lui. Si vous passez dans les grands bois silencieux, soyez prudents; chantez, sifflez, criez, mais ne le faites pas plus de deux fois, sinon à votre troisième cri d'appel, il accourrait sur vous et vous ferait un mauvais parti...

On raconte que ce génie susceptible et rageur va parfois jusqu'à vous appréhender au corps, vous arracher sans façon une jambe ou un bras, qu'on a cependant la consolation de se retrouver le lendemain à la porte de sa demeure...

Une meute de loup hurle à chaque pleine lune.
Nul ne les voit mais on les sent à chaque instant épiant les promeneurs intrépides.
Certains membres du clan y ont édifié leur demeure, s'il vous prenait l'envie de les y visiter, gardez vous bien de vous y rendre seul. Il n'y a qu'eux qui puissent vous prémunir de la magie des bois...