L'Antichambre

C'est plus qu'une pièce, c'est une maison. Vaste, ancienne, une maison qui a vu la vie pendant des générations, et qui maintenant est le plus souvent peuplée de silences.

Que sont devenus ceux qui habitaient ce manoir cossu en bordure du Jardin, nul ne le sait plus. Il reste sans doute entre les livres moisis de la bibliothèque ou sous les lattes des planchers dans les chambres de l'étage quelques journaux intimes dissimulés, qui pourraient raconter l'histoire. Sauf que les souris adorent, elles aussi, dévorer les histoires...

Les vieux portraits sont poussiéreux et fanés, mais les regards et les sourires ont du être vrais. Les statues, les bustes, tous ont eu des vivants pour modèles. Quelqu'un a choisi ce tapis grenat qui couvre encore le grand escalier, quelqu'un a commandé les globes de pâte de verre qui ornent les lampes à huile. Des enfants ont du courir sous les verrières du grand hall par les jours de pluie, poursuivis par le bruit des gouttes sur le verre. De dignes vieillards ont du siéger dans les fauteuils de velours près de la cheminée du bureau. Et toute une armée de serviteurs menait le combat contre les araignées industrieuses et l'envahissement inlassable de la poussière.
Un combat abandonné désormais.

Le Manoir est à ceux qui attendent à présent. La grande pièce en haut des escaliers, l'Antichambre proprement dire, est toujours ce lieu de luxe discret et hospitalier qu'on attend d'un tel endroit, le feu dans la cheminée, les flacons de cristal et la grande coupe de fruits frais. Toutes les autres pièces, désertées elles et livrées à l'abandon, sont cependant ouvertes. Qu'ils s'y promènent, les visiteurs, alors que leur message est porté, qu'ils y respirent l'antique présence qui survit dans les boiseries précieuses et le raffinement des œuvres d'art. L'attente n'est jamais longue ici, même s'il faut des heures, parce qu'il y a tant à découvrir...

Et puis vide, ce lieu ne l'est pas totalement. Il y a les fantômes. Ils ne parlent pas, certes, mais ils ont une tendance intéressante à la facétie... De quoi passer agréablement le temps.