Royaume d'Achaïa Che'Hina
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Au crépuscule...(2)

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Au crépuscule...(2) Empty Au crépuscule...(2)

Message  NightShade Lun 17 Sep - 20:10

[ venues de ...]

C'est décidé. J'aime bien son sourire.
Mais j'aime pas trop ce qu'elle dit, par contre.


La centauresse a un peu d'inquiétude dans les yeux. C'est la mention du danger qui lui fait mauvaise impression, sans doute. Ou alors le fait de ne pas encore trop savoir quoi faire de l'invitation implicite de cet endroit étrange. Même les Délices évoqués par l'elfe ne parviennent pas à éloigner l'ombre menaçante des habitants du Labyrinthe ou du Jardin d'Eden.
Et elle ne comprend pas cette histoire de cubes.
Pas grave. Elle comprendra plus tard. Trop crevée, bien trop pour être vraiment effrayée, ou pour conserver ne fut-ce qu'un reste de méfiance. La grande elfe avance et la centauresse suit. Déjà conquise, peut-être, ou alors...

... y'a vraiment quelque chose d'étrange ici.
C'est très bizarre. J'arrive pas à imaginer que ce soit dans un traquenard qu'elle m'emmène...
Pourquoi le ferait-elle, avec le pouvoir qu'elle aurait sûrement de me rôtir sur place ?...


Parce qu'un centaure mort, ça pèse. On conduit la vache à l'abattoir, on n'amène pas l'abattoir à la vache.

Foutaises. Je pèserais trop pour une elfe, mais n'importe quel troll de bonne volonté me trimballerait d'une seule main.

Elle hausse les épaules, et suit Anog jusqu'à un gros pilier, sur lequel elle pose la main. Et là, ça devient vraiment très étrange. Lumière, musique douce. Ah ben ça alors.

Anog parle et NightShade écoute à demi, au début du moins. Elle aime les histoires, beaucoup, et celle-là est jolie. Mais elle a le cerveau brouillé, engourdi. Elle ne saisit que la fin, et elle ne peut se retenir de hausser à nouveau les épaules, doucement, sous le regard de l'elfe. Elle ne sait pas.

- Je ne suis pas magicienne. Enfin... pas plus que tout le monde.

Oui, évidemment, la petite magie curative que tout le monde possède plus ou moins, c'est tout. Ensorceleuse, elle ? C'te blague... Même pas fichue d'ensorceler ces saletés de mygales pour qu'elles aillent crissser des pattes ailleurs que devant ses pieds. Même pas fichue de chasser les oiseaux de sa tête. Alors, faire chanter un pilier... Ca la fait sourire, rien que l'idée.

On va dire que c'est la chance.

Pas le temps d'en penser plus, ça bouge. Les perspectives deviennent subitement pus profondes, le chemin se déroule devant elles, l'air de la nuit toute neuve vient leur soulever les cheveux. La rôdeuse a du relâché dans la mâchoire. Sans doute parce que ça fait longtemps qu'elle n'a rien vu d'aussi étrange, d'aussi magique. Pas le pilier qui tourne, non, ça y'en a à foison des trucs qui ont la bougeotte malgré leur condition naturelle d'objets en principe inanimés. Même si aucun d'eux ne chante, à sa connaissance... Non, c'est cette allée, cette végétation odorante, sauvage, l'impression de puissante exultation terrestre qui se dégage des longues frondes peuplées d'insectes dansants. Elles ont l'air presque féroces, ces fougères, féroces et souriantes. Comme si une plante pouvait sourire ou menacer...

Les arbres plus loin, eux, menacent. Elle sent immédiatement qu'il faut les craindre, ceux-là, elle le sent dans le frisson sous sa peau. Du danger, comme Anog l'a dit. Un frémissement le long de l'échine, la centauresse se rapproche, reste juste assez loin de l'elfe pour éviter de la toucher vraiment. Le frôlement de la robe sur ses jambes, encore. La même impression étrange de familiarité, le mouvement ensommeillé d'un oiseau dans sa tête, un croâââ vague et endormi. Tellement de choses à voir, pas de danger dans cette simple petite sensation-là...

L'hôtesse est debout, tendue et souriante, elle flaire l'air parfumé qui les enveloppe, avec un plaisir évident. Et la rôdeuse quitte des yeux la muraille sombre qui tranche sur le ciel, ce ciel bleu foncé si vif, piqueté de lumières, les proches qui zonzonnent et les lointaines qui clignent là-haut, pour guetter son visage, l'expression presque extatique qui le transforme. Et quel visage a-t-elle, elle, en ce moment ? Qu'y a-t-il dans son regard ? De l'inquiétude, oui. Mais de l'émerveillement aussi. La lassitude tire ses traits, et pourtant il y a un sourire flou sur ses lèvres. Ses épaules étaient voûtées sous le poids de l'épuisement, mais deux souffles plus tard, elle s'est redressée, et elle ne s'en est pas rendu compte. Quelque chose de la vigueur foisonnante de ce jardin est entré en elle, sur le parfum des fleurs. Et la danse des lucioles allume des reflets verts dans l'ocre de ses yeux.
Ca fait un temps infini qu'elle ne s'est pas sentie aussi bien, malgré la fatigue, et malgré la frousse.
Pourtant quand l'elfe avance et pose le pied sur la chaussée dallée, elle n'ose pas.
Le souvenir du regard de la grande statue de pierre. Ici aussi, il y a des statues, qui regardent.

Elle a beau dire qu'elles veulent bien de moi, que cet endroit m'a choisie... et si elle se trompait ?
Et si...


Mais la longue main fine est tendue pour elle, et le regard d'Anog est sur elle. De ciel et de sang, les yeux assombris par la pénombre sont noirs tous deux, noirs et pleins de lumière pourtant. Une longue inspiration saccadée, la centauresse lève la main, sa main rude d'archère, sa main pas très propre aux ongles cassés, sa main, étrangement, plus petite que celle de l'elfe. Main de gosse, presque. Elle est tentée de serrer fort les doigts, de se réfugier dans la paume de la longue main douce, mais merde, on a quand même un peu de fierté, se laisser conduire, d'accord, mais pas se cramponner, quand même.
Son pied corné sonne sur les dalles sombres.
Un joli son, clair et net. Tac.
Tac.

Et puis d'autres tac comme elle avance aux côtés de la prêtresse, vers le coeur de son royaume.
Leur royaume, si elle doit l'en croire...

La voix d'Anog monte dans l'air frais, chargé de mille senteurs montées du sol, senteurs noires de terre fertile, vertes pour les frondes, les feuillages, l'herbe ondoyante sous le rythme de la brise, et les parfums de fleurs... Une sorte de symphonie.
C'est bien des fleurs que parle Anog, d'ailleurs.
On les découvre à chaque pas, ces fleurs, fermées pour la plupart, les diurnes frileuses, mais les fleurs de nuit s'épanouissent dans leurs robes chatoyantes et dansent dans la lueur des lucioles, comme à un bal dont on n'entendrait pas la musique. De la grâce, de la vie, une beauté vigoureuse et exubérante. La centauresse sourit. Elle pense à la fleur sombre, à la fleur triste, celle qui lui a prêté son nom.

- J'en connais quelques unes, et je les aime toutes. Mais je ne les ai jamais entendues me parler. Peut-être que je n'écoutais pas, en fait...

Me parlait-elle, la fleur près de la pierre moussue ?
Je ne me souviens pas.
Il y avait tant de murmures...


- A les voir, celles-ci, sûrement qu'elle peuvent parler, elles. Elles ne peuvent pas bouger, pourtant elles sont l'air d'aller quelque part. Elles ont plus de vie en elles que plein de gens qui marchent, avec leurs yeux de poissons morts.

Comme moi, finalement. J'ai marché vers n'importe où, depuis que j'ai quitté la pierre moussue.
Et la fleur triste.


- Est-ce qu'une fleur peut être triste ?

Question con.
Sortie au moment où elle l'a pensée. Trop tard pour la retenir, encore.
Juron grommelé tout bas.

- Je dis vraiment n'importe quoi. C'est parce que je pense n'importe quoi. Et que j'oublie de fermer ma grande gueule. Désolée.

Alors qu'il y a tant à voir, tant à découvrir, tant de questions intelligentes à poser, pourquoi est-ce que je repense à cette pierre et à cette fleur-là ? Ca doit être la fatigue.

Et pourtant, idée des plus saugrenues, la voilà qui imagine retourner à cette pierre moussue, creuser autour de la grande fleur inclinée, l'emporter avec ses racines. Et lui trouver une place ici. Où c'est vivant.
Où on ne lui en voudra pas d'être porteuse de mort.

Elle a un petit rire idiot, la centauresse, à cette pensée bizarre.
Et finalement, elle serre un peu les doigts, quand même.
Histoire de ne pas devenir dingue tout de suite.
Ou de ne pas devenir dingue toute seule.

NightShade
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Message  Anog Mar 2 Oct - 3:22


Tu écoutes le bruit léger de ses sabots sur le sol, son pas régulier à quatre temps, le raclement furtif de l'ongle épais sur la dalle.
Sa présence est rassurante par sa simplicité, sa force.



Tu t'imprègnes des bruits de la nuit, et de sa voix.










Elle jure, et rit. Et plus elle se cache plus elle t'es familière.



Tu ne sais pas comment lui dire que tout ce qu'elle construira croîtra comme les fleurs de ce jardin, qu'ici elle pourra prendre racine et reprendre vigueur. Et que c'est sa beauté et son innocence qui font d'elle une part de ce Royaume.







La petite main calleuse t'attrape, elle est chaude.





Tu enserres ses doigts et caresses doucement le petit pli qui se dessine entre son pouce et son index et tu l’entraînes vers le labyrinthe dont les parois végétales grandissent au gré de votre avancée.



De l'autre côté, le dôme du Palais des délices, perché sur une colline, se dessine au centre d'un lac qu'on devine au clapotis de l'eau qui vient lécher les rives et dont la silhouette de pierres pâles, presque fantomatique, émerge comme un monstre marin de ce bouillon noir.






« Je ne sais pas si les fleurs peuvent éprouver de la tristesse. Mais elles ont le pouvoir d'atténuer la nôtre. »

Tes yeux insistent.


« En tout cas, la mienne.
Tu dois savoir cela toi ... »


*Qui portes un nom de fleur si troublant.*

A mesure que tu avances et que tu t'approches du grand labyrinthe les torches qui bordent l'allée s'espacent jusqu'à disparaître parfaitement et laisser la place aux ténèbres.
Seul un félin pourrait distinguer des formes dans ce dédale épais et broussailleux. Pourtant tu t'y engouffres sans la moindre hésitation.
Le sol légèrement incliné a changé de consistante, imperceptiblement, les larges dalles de pierre, suivant une légère inclinaison, se sont enfoncées dans le sable pour finir par disparaître complètement elles aussi sous ce tapis dense et moelleux qui étouffe tes pas et absorbe le claquement des sabots.
Tu marches sur le sable aussi légèrement qu'un serpent.

Entre les parois monstrueuses du premier couloir, ta voix est presque un souffle parmi les branches.



« C'est mon père qui m'a éduquée, seul. Et puis mes trois sœurs. Et puis... »
Et puis tu ne l'évoqueras pas , ce frère.




« J'ai grandie dans ce Royaume de géant, c'était comme un rêve, cette chose... sans limite. Je passais des heures dans ma chambre à regarder dehors le vent qui faisait bouger les branches, avec l'espoir de parcourir ces espaces immenses, inquiétants. Mais mon père en avait décidé autrement, et tandis que mes sœurs s'ébaudissaient dehors, j'étais condamnée à rester dans les murs.
J'ai appris l'espace du dedans avec mon corps, mes mains.
J’appréhendais l'espace du dehors avec mon imagination et ma mémoire.
J'avais très peur de cet endroit tu sais... mais je mourrais d'envie de l'explorer, de l'apprivoiser. La peur de se perdre, c'est si excitant.
Faire de ce cauchemar un savoir, on me l'enseignait tous les jours.
Je n'en comprenais pas le sens, je ne l'avait même pas comprit.
Et puis tout était si étrange... si habituellement étrange dans ce domaine que cela devenait pourtant familier.
J'ai fini par ne plus poser de question.
Je savais qu'un jour je saurais.

Jusqu'à l'age de 7 ans je restais enfermée sous les vitraux qui me contaient leurs histoires et je les préférais aux livres car ils changeaient avec la lumière, j'avais quelque chose de mouvant sous les yeux, quelque chose de presque vivant.
Le lumière était ma compagne et ils me servaient de ciels et de théâtre.
Chaque jour je devais étudier les plans du domaine, et crois moi, ce n'était pas une mince affaire. Et chaque soir mon père m'interrogeait. Et puis chaque matin. Je devais connaître sur le bout des doigts chaque recoin, chaque chemin, chaque clairière, chaque cul-de-sac, chaque fossé, chaque couloir, chaque accès, chaque code, chaque formule, chaque arbre, chaque créature qui composaient et peuplaient cet espace. Il me donna un mestre quand il jugea que mon esprit était assez mature pour apprendre l'usage des instruments d'optique, de mesure, et leurs sciences, et les mathématiques, puis l'histoire, les lettres.
Mais c'était bien après.
Je ne mériterais d'apprendre que si j'étais capable de traverser ce labyrinthe du premier coup.
Le jour de mes 7 ans je fût autorisée à sortir enfin, à fouler la terre... oh tu ne peux pas savoir l'ivresse que j'ai ressenti à respirer pour le première fois. C'était si bon...
Et je sus enfin à quoi avait servit cette incarcération...

Il me banda les yeux et me conduisit jusqu'ici, m'ordonna de traverser, d'une traite, sans hésitation.
Il me dit qu'il ne viendrait pas me chercher.

Il eut tout de même la délicatesse de m'informer d'une seule chose : qu'ici, à l'image de ce dédale on n'a pas le droit à l'erreur. Car l'erreur est fatale. Et surtout, on ne recule jamais.
Si je me trompais de route et si je revenais sur mes pas, l'espace changerait, et cela se refermerait sur moi lentement.
Les arbres resserreraient leurs ramures pour m’étouffer aussi sûrement qu'un boa étouffe sa proie avant de la dévorer.
Comme le mensonge. Comme le faux jugement.


La peur atroce.
Le cauchemar me mangeait toute crue avant même que j'ai fait le premier pas.

Je l'ai haïe.
J'avais si peur... »

Que tes jambes se sont mises à trembler, et ta bouche tu la croyais pleine de ce sable que tu foules, et plus sèche qu'un désert, et ta gorge brûlait.
Comme ça, il t'a dénoyautée.


«  A peine avais-je vu le ciel qu'il disparaissait sous le bandeau noir et serré.
Ce jour là, l'enfant a disparue.
Je veux dire, l'enfant qui trouvait chaque chose amusante et le danger excitant, comme un jeu.


Pas la moindre tendresse dans sa voix, pas la moindre hésitation ou le moindre remord.

Il me dit adieu.
Et je suis entrée... »


Ta voix tremble maintenant.
Tu serres sa main.

Pourtant tu marches les yeux fermés comme en plein jour avec certitude.
Ta boussole intérieure te guide.
Et ta mémoire à vif.
La labyrinthe incrusté dans ta chair, comme la prolongation de toi-même.


« Un jour, tu me haïras aussi. Car tu vas apprendre à traverser le labyrinthe pour atteindre l'autre côté. Seule.
Et ton pas sera demain aussi sûr que le mien, je te le jure. »

Et tu l'étreins, cette main.

« Mais je ne te dirai pas adieu.
Maintenant racontes-moi.
Dis-moi qui tu es.
On raconte toujours mieux dans le noir. »





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Message  NightShade Mar 2 Oct - 19:34

Soudain, elle est glacée, la petite main sale.
Pas tellement à cause des hautes parois sombres qui viennent les encercler, ni de la sensation des milliers de paires d'yeux, petits, grands, potentiellement hostiles, qui sont venus se river sur le haut de son cou. Même si ça suffit déjà à lui hérisser les petits cheveux de la nuque et à lui filer la chair de poule...
Pas à cause de l'obscurité non plus, l'obscurité est chose connue, une alliée, voire une amie très chère dans les bras de laquelle on aime se blottir, à qui on peut raconter ses secrets, ses malheurs et ses espérances.
Pas à cause du contact étrangement tiède de cette autre main, cet autre regard, cette autre voix. Cette présence vibrante et magique. La puissance qui traverse la peau fraîche de la grande prêtresse et vient ramper sous la sienne, mille petits serpents invisibles et soyeux qui ondulent vers son épaule.

Non, c'est autre chose.
Autres choses.

La voix d'Anog est comme un chant assourdi, mais la chanson qu'elle chante est triste aux oreilles de NightShade. Cette enfance solitaire et captive... Ca ne va pas. Ca ne va pas du tout. Ce n'est pas comme ça qu'on élève les gosses, qu'on les conduit vers leur futur, non, pas en les enfermant, pas en les contraignant, et jamais, jamais en les poussant seuls en plein danger. Une colère vague et un malaise trouble s'entrelacent dans la poitrine de la centauresse, la certitude que c'est mal, traiter ses petits comme ça, très mal. Impossible pourtant de se souvenir pourquoi elle pense ça, pourquoi elle en est aussi sûre. Ils sont réveillés. Il lui faut à présent forcer son attention pour suivre l'histoire d'Anog, pour détourner son esprit de ce qui a tiré ces foutus corbeaux de leur sommeil trop bref.
Mais c'est presque pire.

"Ce jour-là, l'enfant a disparu."

Tuée. On l'a tuée. On ne devrait jamais être forcé d'abandonner l'enfance, jamais. On devrait choisir en souriant.
Et comment que tu l'as haï, ce père. Je le hais aussi, sans l'avoir jamais vu.


NightShade sent la main de l'elfe frémir dans la sienne, entend sa voix vibrer. Son pas pourtant ne faiblit pas, et elle poursuit sa route, guidant son invitée entre les murs végétaux qui ferment l'horizon. Deux parts en Anog, encore, celle qui marche d'un pied sûr et celle qui revit ce cauchemar de fin d'enfance, cette épreuve mortelle qu'on lui a imposé, bien avant sans doute sa naissance à elle, les elfes vivent vieux, elle le sait... Elle n'est qu'une gamine stupide et sans expérience à côté de cette reine qui l'entraîne vers elle ne sait trop où...

Au détour d'un couloir de verdure, l'espace réapparaît un instant, et le lac étincelle sous la lune. L'île rocheuse et le palais s'élèvent dans les yeux de la rôdeuse, tout en grâce et en altière beauté, et une fois de plus elle se demande ce qu'elle fout là... Ses gros sabots dans un palais, franchement, c'est presque risible, et pourtant elle n'a pas du tout envie de rire.
Elle a froid dans le dos.
Froid tout court.
Et il lui faut quelques instants avant de comprendre pourquoi.

Le labyrinthe s'est refermé sur les deux marcheuses, vertigineux ravin de feuillages sombres. C'est effrayant. Mais ce n'est pas ça.
C'est ce qu'elle a dit.

"Un jour, tu me haïras aussi."
"Tu vas apprendre."
"Seule."


C'est à ce moment précis que la frayeur, la vraie, dégouline comme une eau glacée tout le long du corps efflanqué de la petite centauresse.
Le voilà, le piège. La voilà, la prison.

Elle vient de te dire qu'il lui a fallu des années, et c'est une elfe, avec un cerveau d'elfe, une mémoire d'elfe.
Et toi ? Combien de temps te faudra-t-il avant d'être capable d'apprendre ce qu'elle a appris ?
Combien de vies ?
Tu vois, il y a bien des manières de prendre la vie à quelqu'un.
Imbécile.


L'affolement lui fait battre le sang, haleter le souffle. Elle n'arrive pas à y croire. Elle voudrait que ce ne soit pas vrai. Elle se demande comment elle a pu être aussi imprudente, aussi naïve. Comment elle a pu imaginer...

Je n'ai pas imaginé. Le sentiment que c'est ma route, il est toujours là. Mais quoi !!! M'enfermer ici ou crever en essayant d'en partir ? C'est pour ça que je me suis levée ? Pour ça que j'ai marché ? Juste pour ça ?
C'est absurde !


Elle déglutit, fixe le couloir ténébreux devant elle, les yeux immensément ouverts pour essayer de voir loin, les dents serrées sur son souffle trop rapide. Et elle avance toujours.
Parce qu'il n'y a pas de retour en arrière.
Pas de choix.

Anog marche, la conduit par la main comme une petite soeur qui risquerait de faire des bêtises. Et elle parle toujours de sa voix chaude. Peut-être qu'elle ne sait pas ce qu'elle vient de déclencher.

M'arrêter sur place et exiger qu'elle me ramène à l'entrée.
C'est ce que tu veux ? Partir ?
Je ne sais pas. Mais je ne veux pas d'une prison.
Magnifique prison. Bien plus belle et vivante que la pierre grise où tu reposais.
J'avais choisi la pierre.
Vraiment ?

Non, pas vraiment...
Tandis qu'elle suit l'elfe comme une mécanique mi-femme mi-bête, la centauresse refoule des larmes de désarroi. Elle ne sait plus. La route qu'elle a cru discerner un instant s'est effacée sous ses pieds, il n'y a plus de chemin, plus de voie pour elle, que celle qui mène à un enclos. Elle est tentée de se retourner, de regarder derrière son épaule, mais elle sait, elle sent que tout a changé sur leurs talons, que tout est comme Anog l'a dit, changeant, hostile à tout sauf ce qui marche dans la seule direction sûre.

Et c'est la voix de la prêtresse, la même voix qui l'a jetée dans le doute, c'est cette voix qui vient la cueillir au milieu de sa révolte et de sa peur. En lui posant la question qui n'a pas de réponse.

"Dis-moi qui tu es."

Qui je suis...
Je suis celle qui marche sur tes pas, en ce moment même. Et rien d'autre. Rien d'autre qu'un vol d'oiseaux noirs...
Pas d'autre voie que celle-là, finalement. Quel que soit l'endroit où ça mène, pas d'autre voie pour ce que je suis.


- Personne.

Et c'est la vérité.

- Je me suis éveillée avant-hier. Il y avait une pierre moussue, et la grande fleur sombre. Rien d'autre que ça et des lambeaux de brume. Je me suis levée et j'ai marché. J'ai eu faim et j'ai mangé des fruits. J'ai marché encore et je suis arrivée ici.

Etrange. Trois secondes avant elle aurait éclaté en sanglots à cette question. Là elle a la voix presque dure. Comme si elle jugeait sévèrement la brièveté de ses souvenirs, leur pauvreté. Elle regarde droit devant elle et elle ne sourit pas. Y'a pas de quoi sourire, c'est pas drôle, son histoire. C'est pas une histoire, même. C'est beaucoup trop court pour ça, beaucoup trop vide.

- J'avais des vêtements sur moi, des armes à portée de main, mais je ne sais pas d'où ils viennent. Un sac avec quelques babioles sans grand intérêt ni valeur, et je ne me souviens pas comment j'ai acquis tout ça.

Et chaque fois que j'essaie de savoir, la tempête de plumes sombres se lève dans ma tête et j'abandonne, parce que ça fait trop mal.

- Sans doute que j'ai eu un vrai nom, et une famille.Sûrement. On n'arrive pas au monde comme ça, adulte et tout armé, si ? 'parait qu'il y a eu une déesse des hommes qui est née comme ça, mais je suis tout sauf une déesse, ça ressemble pas à ça les déesses, ou alors j'ai rien compris au concept. Donc je suppose qu'il y a eu quelque chose avant. Avant la pierre et la fleur.

La dureté s'effrite un peu. Pas beaucoup. La voix s'assourdit, se voile.

- Peu importe, finalement. Ca a disparu. Je me suis levée toute blanche comme un bouquin pas encore écrit. J'ai pas d'histoire à te raconter. J'aimerais bien... mais non.

Un silence, bref et lourd. Puis un dernier murmure.

- Peut-être que ça commence ici, mon histoire. J'aimerais bien qu'elle soit pas trop courte...

Puis elle se tait, et elle marche. Pas lent, régulier. Avancer entre les murs de feuillages, jusqu'à l'autre côté. Pour voir. Vivre.
C'est parfois pas bien compliqué.

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Message  Anog Jeu 13 Déc - 23:34

Le labyrinthe se referme comme un coffre.
Et l'aveugle guide l'inconnue.
Sa main tu la serres comme une pince.

*Personne. Elle dit, personne.*

Quelque chose de brutal au fond de toi, quelque chose de bestial.
Tu crois que quelque chose saigne entre les parois.
Elles te traversent les lames paternelles.
Un bouquet de ronces te pique les nerfs.

*Personne, ça ne se peut pas, d'être personne.*


Ton visage se détache dans le noir. Tu te retournes pour la regarder. Elle est un océan. Sombre et profond.
Peuplé de monstres et de merveilles.
Tu le sens.
Elle te met les nerfs à vif et elle te calme, elle te rassure et elle t'inquiète.
Cette odeur de sang, dans tes narines, cette odeur qui ne veut pas disparaître, gluante. Cette odeur qui la suit. Qui maintenant t'obsède.
Droit devant. File en silence. N'être personne.

Derrière tes yeux clos jaillissent des étincelles. Des raies de lumière qui te griffent.


"Ne doute jamais. je ne t'en donne pas le droit."

Enfermée dans le coffre.
Mais tes pieds ne font qu'effleurer le fond.
Tu lui dis, qu'elle ne doit pas douter.
L'étau de ta main se resserre. A lui briser les doigts.



"Tu n'es personne. Mais demain t'apprendra."


Le miroir incrusté dans ta gorge, ce miroir si petit, incandescent, le miroir des âmes qui ne s'est plus animé depuis si longtemps, il n'est plus couleur de fumée, il rougeoie dans la nuit, éclairant ta mâchoire.
Tu pourrais lui faire peur.

Ces mots qu'elle a prononcé à l'instant, de la pierre et de la fleur et cette odeur de sang qu'elle traîne au delà des ans.
Tu veux qu'elle se lave.
Tout à l'heure, à la source.
Qu'elle retire cette peau de misère qui n'est pas la sienne.

Tu marches d'un pas plus vif, l'entrainant dans ton sillage.
Fuir la vision.
celle là qui t'assaille.
D'elle, pourchassée.
Ta voix s'élève claire et coupante.


"Hier, il y a des lunes. Avant que ce Royaume ne se referme sur ses mystères, ils sont venus ici.
Ils chassaient à grand cris une centauresse blanche.
Hier. Je les ai laissé faire.
Pleine d'effroi, remplir ces lieux sacrés de cris, d'injures, de rires et de grimaces.
La horde des fous.
J'ai vu des chats huants, des pantins macabres et des sorcières sanguinaires, des guerriers en guenilles avec des chapeaux à grelots, armés le lances, de sabres et de couteaux lacérer sa belle robe, agacer ses membres.
Avilir.

Le miens l'ont protégée quand je ne fût que spectatrice.
Des histoires il y en a tant. Des HISTOIRES!

On ne peut se souvenir de tout."


Tes yeux rougissent. Tu as crié.
Tu voudrais bien te l'arracher ce morceau d'argent qui t'entre dans la chair.


"Puis ils ont disparus."

Tu es essoufflée quand le dernier couloir s'ouvre sur le lac. Tu t'arrêtes net et contemple le Palais des Délices, merveille des merveilles. Comme si tu n'avais rien dit. Comme si ce diable t'avait oubliée.

Pieds nus sur le sable.
Tirer la barque à fond plat.


Tu lui souris.

Tu caresse ses doigts.

"Nous y sommes presque. Elle sera longue ta route. Mais elle en vaut la peine.
Des histoires j'en connais plein. J'aurai de la mémoire pour nous deux.
Tu n'as pas le mal de mer j'espère."

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Message  NightShade Mer 26 Déc - 23:51

La main qui serre, une griffe fermée sur sa chair. Possession. Faim.
Peur.
Mais assez de peur. Ca suffit la peur. Ca suffit de tergiverser, de reculer, de fuir. Assez de peur, marre.
Elle est entrée sous le regard de l'ange de pierre, elle s'est levée et a suivi l'elfe aux cheveux de lune et aux yeux qui disent une double nature, et elle a supporté le souffle du labyrinthe qui se fermait derrière sa croupe, branche après branche. Alors quoi ? Ca, ça change quoi ? Anog l'entraîne, oui. Mais pas de force.
NightShade sourit.
Quelle que soit son envie, jamais Anog ne pourrait l'attirer là où elle ne veut pas aller. Entre une prêtresse elfe et une centauresse, la bourrique sera toujours la plus forte, sinon la plus puissante. La Dame peut la griller sur place et la mettre en poussière, oui. Mais la conduire vivante là où elle refuse d'avancer, jamais. Suffit de planter les quatre pieds et de dire non. Fastoche.

NightShade avance, parce qu'elle veut savoir.
Elle veut savoir d'où vient le grondement de l'elfe, qui est cet animal sans âge qui rugit dans sa voix. Peut-être qu'elle ne sait pas elle-même qu'elle a un ours en elle, un tigre ou un démon. Une chose furieuse qui grogne et qui a ce pas élastique, ce regard de fauve, bicolore.
Les ordres. Les interdictions.

"Ne doute jamais. je ne t'en donne pas le droit."

Je ne suis pas tienne.
Je le serai peut-être, mais je n'ai pas encore choisi. Je ne t'ai pas encore choisie. Je ne te connais pas.

Menteuse.


"Tu n'es personne. Mais demain t'apprendras."

Si je veux.
Si je veux, j'apprendrai.
Et si peux.
Et si je ne veux pas, si je ne peux pas, je partirai.

Menteuse.


Les pas d'Anog rythment le choeur de la nuit. Le sang dans sa main serrée sur les doigts éraflés de la rôdeuse, le sang pulse et danse aussi. Même les branches de cet horrible labyrinthe, elles dansent, et les nuages devant la lune, aussi. Tous. Tempo unique.

Et mon coeur...
... déjà ?


L'obscurité file en froissements de branches bousculées, en froufrous d'ailes fuyantes, de vraies ailes, de vrais oiseaux. La lune les arrose par intermittence, filtrée par des nuages de soie violet sombre. Et à un moment de ténèbres, la grande elfe parle encore, et la petite centauresse l'écoute, les yeux rivés sur la chevelure d'argent qui ondoie devant elle, sur la main fine agrippée à la sienne. Leur pas reste uni. Et c'est ça qui est étrange.
Avec ce qui se dit là, il y a de quoi faire écrouler le monde de l'une d'entre elles, au moins.

La voix est nette, aucune erreur n'est possible. Rien ne vient couvrir les mots. Leur rythme même est celui de leur marche. Une musique sur laquelle, sans le savoir même, elles dansent.
Une centauresse blanche, il y en a eu une ici. Une horde grimaçante, il y en a eu une, non loin. Des trous saignants dans la robe blanche. Une histoire. Juste une histoire.

L'histoire qui est un cri dans la gorge de la prêtresse. Un cri dans la tête de celle qui ne se souvient pas.
Un cri sans écho.
Sans ailes noires.
Sans souffrances.

L'elfe a lâché la main de la centauresse, sinon elle aurait remarqué l'immobilité qui l'a prise. Le tumulte qui l'agite. La marée de questions qui noie son regard d'ambre, ces yeux dorés qu'elle ne se connaît même pas.

Une horde hurlante, qui me poursuivait. De la peur et de la colère et de la furie. Et la joie d'une délivrance. Et la peur d'un piège que j'aurais du prévoir.
Je me souviens.
Des images, des sons, c'est brouillé, lointain, mais je me souviens.
Et les corbeaux se taisent.


Dans sa tête c'est un silence glacé, lourd. Atterrés, ils courbent le cou, le dos. Ils endurent, admettent, ils se résignent. Ils ne sont pas armés pour barrer la route aux souvenirs venus du dehors, seulement à ceux qui viennent du dedans...
Et Anog n'est pas en elle.

Je ne me souviens pas d'elle. Comment sait-elle des choses de moi ? Et que sait-elle d'autre ?
C'est pour ça. Pour ça que je suis ici.
Il y a des choses de moi, ici. De moi avant les oiseaux.
Anog sait. Elle peut me les rendre.
C'est pour ça, pour ça que...


Elle en pleurerait de reconnaissance. De soulagement d'avoir fait le bon choix, de ne pas avoir cédé à l’instinct qui lui disait de fuir, à la révolte qui la poussait à refuser ce qui ressemblait à une prison. Elle veut bien de la prison, si elle peut trouver des fragments d'elle sous les dalles. Et peu importe si elle s'y use les doigts jusqu'à l'os.

Anog est devant elle et ses mains sont douces sur les doigts que NightShade imaginait déjà ensanglantés. Le sourire sur le visage délicat de l'elfe est tiède et rassurant comme l'épaule d'une mère, le bras protecteur d'un frère, le sourire d'un amant. Sécurité et partage, au-delà de l'incertitude, de la peur.

Et je me fous maintenant de l'incertitude et de la peur. Elle m'a rendu un bout de moi. Même si c'est le seul qu'elle a jamais détenu, elle est la preuve que ces oiseaux ne sont pas tout-puissants. La preuve que j'étais là avant eux. Qu'ils n'ont pas leur place dans ma tête.
Je peux les chasser.
Je peux reconquérir mon existence.
Si elle m'aide.


Et à cet instant, elle est le monde entier, la grande elfe au sourire comme une caresse, à la caresse comme un serment, au serment silencieux écrit dans la course des nuages. NightShade l'entend. Elle acquiesce. Elle accepte. Elle n'a plus peur.

Euh...
Si, un peu quand même.


- Le... hum. Le bateau, je suis pas trop... enfin... il est un peu petit, non ?

Oui, il est trop petit. Et le lac est noir et luisant sous la lune. Qui sait ce qui y dort. Et ce qui n'y dort pas...

Tant pis. Si il y a là-dedans des choses qui mangent du centaure, c'est que je me suis trompée et que je n'ai pas ma place ici. Mais je ne veux plus en douter.

- J'espère que ça ne t'ennuie pas si je préfère nager. Si tu veux je peux tirer la barque, aussi.

Et sans attendre, elle dépose ses maigres possessions dans l'embarcation, le sac élimé et le vieil arc au bras fendu réparé avec une sangle de peau, le carquois aux trois quarts vide, la veste poussiéreuse et bouffée des mites, la dague rouillée dans le fourreau de cuir brut. Seul reste l'étrange pendentif qui refuse de la quitter, petite boule de cristal qui se fait oublier, dans le creux de sa poitrine. Même la lanière usée qui lui noue les cheveux, elle la vire.

Nue comme si j'étais née à la minute d'avant. Presque aussi faible. Bouffe-moi si tu le veux. Laisse-moi vivre si tu me veux vivante.
Mais on me découpera en douze et demi avant de me faire monter dans un putain de bateau.


Un pied, deux. Les quatre. De l'eau jusqu'aux jarrets. Jusqu'au poitrail. De l'eau qui lui monte presque aux épaules, à présent, dans laquelle son corps amaigri flotte et se retourne, soulevé par les battements vigoureux des jambes. Elle aime nager. Elle aime le froid de l'eau et la sensation de pression sous la sole de ses sabots, autour de ses canons, sous son ventre. Elle aime sentir les crins de sa queue se répandre comme une draperie, écho de chevelure, en plus épais et plus long. Les mouvements de bras sont symboliques, juste pour aider, pas vraiment nécessaires. Une main se pose sur le plat-bord de la barque, va s'enrouler autour de la proue.

- C'est par là ? C'est...

Magnifique. Grandiose. Totalement incongru pour quelqu'un comme moi.

- ... hum... enfin au moins j'y entrerai propre. Déjà ça.

Maigre sourire. De la peur, quand même. Peur de fille, qui ne compte pas. Y'a que les filles pour craindre de ne pas être assez propre, quand la question est : seras-tu assez toi ?
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Message  Anog Jeu 3 Jan - 22:31

"ça ne me dérange pas."

Tu l'observes retirer ses pauvres effets. Tu ne détournes pas les yeux quand elle offre sa maigre poitrine à la nuit où luit un étrange pendentif qui balance sur sa peau. A peine est-il libéré des pans de la veste qui tombe en miettes que le miroir scellé à ta gorge brûle comme un brandon. Si violemment que des larmes te viennent aux yeux. Tu serres les dents, espérant que les ténèbres dissimulent assez bien la surprise que la douleur a peint sur tes traits. Tes yeux tressautent, une vague de fièvre te pince le front et te ratisse, faisant flageoler tes jambes.
Sous-sol, cris, une monstrueuse cohue te remplit le crâne, et la vision répugnante du Faucheur apparaît face à toi, ignoble imposteur.
Tu pestes et craches.
Tes yeux s'écarquillent et l'observent, effarés, fulminant, comme s'il était encore là, s'arc boutant sur le corps de Night Shade pour plonger dans l'eau noire et saisir la proue de l'embarcation avec un sourire mauvais et libidineux faisant claquer sa langue sur son palais creux.
Il prend une rame et te frappe à la tempe.
Il t'arrache la peau des joues, l'oreille et une poignée de cheveux.
Ta lèvre saigne.
Mordue.
Tu te laisses traverser.
Il ne faut pas réveiller les démons qui sommeillent.
Même pas ici.
Surtout pas ici.
Il s'ébroue te narguant enroulé dans ses cheveux répandus comme des algues autour de sa gueule et ton corps se raidit et ton bras jaillit et saisit la main décharnée cramponnée à la barque. Tu la cognes. Tu crois que tu la cognes. Arrachant les griffes à la chair. Mais lorsque tu la touches cette main, avec la délicatesse d'un ange, ce sont les phalanges glacées de la centauresse que tu sens.
La vision disparaît.
Le miroir qui rougeoyait dans l'obscurité s’éteint. Mouché comme une chandelle.

Ce corps amnésique porte le fruit de mille morts.
Et les diables qu'elle convoie te rient au nez.


*pas maintenant, pas maintenant le dire....*

"Je... Il m'arrive parfois de vivre de. Des cauchemars. Éveillés. J'ai cru....
non ce n'est rien
pas la peine
Ne t'en offusques pas.
Cela m'arrivera peut-être encore. Ne les crains pas... Il faudra.... Non.
Une autre fois. Là-bas peut-être on parlera.
Ce bijou à ton cou a une mémoire.
Les objets ont une âme.... capricieuse... parfois.


Tu secoues la tête comme si tu disais des sottises et tu lui souris l'air un peu décontenancée.


"C'est idiot de... J'aime nager moi aussi."

A ton tour tu délaisses les lourdes étoffes qui recouvrent ton corps, les laisse glisser au fond de l'embarcation.
Il te tarde de jeter ta tête dans les profondeurs. Tu fais comme si... mais tu te demandes d'où vient ce bijou.
Tu sais d'où il vient mais tu ne peux pas
tu ne veux pas y croire.
Tu fais comme si rien n'avait fait déchirure dans ces instants.
Et tu la rejoins, t'accrochant de l'autre côté, abandonnant tes membres à la caresse glacée.

"C'est droit devant nous. J'espère qu'il te reste assez de souffle pour goûter aux délices."




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Message  NightShade Lun 7 Jan - 20:52

Au début, NightShade ne remarque pas. Il fait sombre, après tout, la lumière est étrange et se reflète sur des tas de choses qui ne sont pas censées la renvoyer. Et puis elle ne regarde pas Anog, notamment pour ne pas qu'Anog la regarde. Pourtant les centaures ne sont pas pudiques. Il faut croire qu'elle l'est devenue, elle, à force.

A force de regards trop insistants...

Mouvement d'ailes paresseuses dans sa tête. Les regards insitants, ils sont d'avant. Là maintenant, il n'y a plus rien à voir... Pas assez important pour justifier l'éveil des sales bêtes à plumes cependant. Elles restent engourdies. Elles n'aiment pas le froid.

Et elles ne peuvent rien contre les souvenirs des autres.

Ca c'est un brasier victorieux qui brûle en elle à présent. ll y a quelque chose de plus fort que les bêtes à plumes. Anog peut les vaincre. D'autres peut-être, qu'elle pourra lui indiquer. Ses souvenirs existent. Affreux peut-être, mais ils existent, dans la mémoire des autres. Et elle peut les reconquérir à travers eux.

Donc, elle ne voit pas tressaillir Anog. Elle ne voit pas luire le miroir. Pas tout de suite. A peine un reflet étrangement caché quand elle tourne la tête, surprise par le silence de sa compagne. Juste après cette dernière parle à nouveau, la voix embarrassée, hésitante.

Pudique, elle aussi ? C'est pas vraiment la réputation des elfes...

Mais aux mots d'Anog elle comprend qu'elle a fait fausse route. Et une fleur d'espoir éclot dans son ventre.

Un autre souvenir ?
... plus tard, sans doute. Oui, plus tard, nous aurons le loisir de parler.


Ce sont les mots de l'elfe, presque exactement. Une résonance dans leurs têtes, bizarre ce sentiment de penser la même chose que quelqu'un qu'on vient de rencontrer... La prêtresse se remet d'aplomb, sourit. Ce doux sourire un peu enfantin et antique à la fois.

Les robes tombent dans la barque et la peau de lune apparaît, si pâle, presque nacrée comme la coque subtilement courbée des grands coquillages. NightShade ne se détourne pas. Elle n'en a ni besoin ni envie. Autant elle a admiré les plantes fortes et droites du Jardin, la valse envoûtante des lucioles, autant elle prend plaisir aux mouvements de l'elfe, la force cachée et la grâce évidente de ce corps étroit et blanc. Sa voix est une chanson secrète, ses gestes une danse sacrée. Si belle à voir. Refuser de regarder ce qui est beau, c'est autant un gâchis qu'une insulte.

Anog glisse dans les eaux sombres, bientôt la barque et deux têtes enveloppées d'algues blanches sont tout ce qui flotte à la surface du lac. NightShade sourit. Elle aime nager, et elle aime partager ce qui lui est agréable avec les gens qu'elle aime bien. Le partage accroît le délice, pour ceux qui n'ont pas l'égoïsme au coeur. Et l'eau, cette nuit, est délicieusement fraîche. Justement, sa compagne parle de délices. Alors elle rit. Le rire le plus léger et sincère sorti d'elle depuis bien longtemps.

- Assez de souffle, tu peux y compter. Assez de faim aussi pour bouffer une hydre ou deux, et assez soif pour boire les deux tiers du lac. Mais les monstres n'aimeraient pas se trouver à pied sec, si ?

Une boutade, maintenant, plus une crainte du tout. La prêtresse nage à ses côtés, donc il n'y a pas de monstres. Pas de monstres pour venir déranger leur baignade, en tout cas pas cette fois. 'faudra penser à poser la question, quand même, sait-on jamais...

La centauresse nage à longs mouvements puissants, traînant la barque. Un enthousiasme nouveau rend ses mouvements plus forts, plus vigoureux. A un moment donné elle réalise qu'elle remorque non seulement la barque, mais aussi l'elfe. Confuse, elle s'arrête.

- Oups... Pardon. J'oublie toujours que j'ai des jambes en trop.

Petite rougeur, mais difficile à percevoir parce qu'elle a la lumière de la lune derrière elle. De l'argent en auréole, peint sur les mèches flottantes.

- Tu préfères que je ralentisse ou... 'fin si tu veux tu peux te laisser flotter. C'est agréable aussi...

Et comment tu sais ça, toi, la quadrupède ? Les centaures, c'est trop lourd pour flotter, sauf morts. Serait-ce que...

Pour contourner le grincement de plumes, elle sourit, et tend la main.

- Allez, profite. J'ai de la force en trop, cette nuit...

C'est pas faux. De la force qui aura disparu demain, peut-être. Une bulle d'énergie, vaste et délicate. Mais si elle est vide, comme sont les bulles ? Juste des couleurs sur un rêve éphémère ? Une pellicule de beauté sur du vent ? Une illusion ?...

Non. C'est vrai. C'est solide. Je le sens.
Je le veux.
Ca y est, je veux quelque chose.
Si ça c'est pas un signe...


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Message  Anog Mar 22 Jan - 16:05

Nager. Nager. Oublier les images. Les sales images qui souillent ta tête. Cette chose pas tout à fait morte. Terrifiante.
La tête sous l'eau.
Ta tête sous l'eau.
Tu brasses avec le bras droit, le gauche pendu à la coque et ton visage vers le fond, enfoncé jusqu'aux oreilles, comme un oiseau qui pêche, penchée sur le côté.
Une vague de sanglot se disperse. Invisible. Dans ce placenta mortuaire.
Tout ton corps lavé par les grandes impulsions de tes jambes, les sons extérieurs disparus, plus que ce bouillonnement organique de cette vie aquatique. Tu laisses ta tête se vider.
Tes cheveux comme des herbes sauvages vont lécher la coque et danser avec ceux de la centauresse.
Si semblables.
Tu la retiens ta respiration le plus longtemps, le plus longtemps pour que ton esprit brûle et que la douleur prenne le pas sur tes pensées.
A bout de souffle tu inspires, saisissant ses mots au passage.
Réconfortants.
Si forts qu'elle ne pourrait imaginer à quel point ils te surprennent.
Le retentissement du don.
T'offrir de t'abandonner. Ne serait-ce que quelques minutes. Dans ses bras devenus lacs. Dans ses jambes devenues les tiennes.

Profite, j'ai de la force pour deux cette nuit.

Tu l'en remercierais, un jour.
De te sentir égale. De la sentir même.
Il lui en faudra surement de la force cette nuit. Comme à toi.
Si difficile l'abandon, si difficile laisser le corps lâche, tributaire d'un autre.
Essayer au moins.
D'abord le bras cesse. Puis le ventre, à décrisper. Abandonner... abandonner...
Et les jambes qui sombrent vers le fond.
Moment de stupeur qui te traverse, de panique avant d'accepter que la centauresse puissante t’entraîne dans son sillage.
Et sentir le mouvement de l'onde qu'elle produit de ses vastes membres.
Finit par te chatouiller.
Tu ris nerveusement. Tu ne la connais qu'à peine et pourtant tu ne lui résistes pas. Tu acceptes l'offrande.
Tu es confiante. et tu ne la crains pas.

"Je ne veux pas que tu ralentisses. "

Devant le paysage s'ouvre, épousant la courbe du lac, on distingue le flanc des montagnes qui cernent l'arrière du Palais. Haussé sur une colline qu'il hérisse de ses pointes et la divisant par trois. Et sur la rive encore lointaine, une longue silhouette guette.
Le flambeau à la main, les flammes crépitent en étincelles qui s'élèvent dans le noir, faisant jouer les ombres sur son visage dont tu connais la vénéneuse beauté, enroulée dans un vaste manteau de plumes d'un baie rouge.
A ses côtés deux ombres plus petites tiennent de lourdes toiles entre leurs bras.


"Vois, on nous attend, là-bas. "
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Message  NightShade Dim 27 Jan - 17:03

C'était hardi, comme proposition, presque téméraire. Qui est-elle pour lancer ce genre de choix ? Accepte de me faire confiance, ou refuse et le lien si récent, si fragile, sera brisé. C'était stupide. Une impulsion, une envie subite, comme beaucoup de ce qu'elle fait parfois. C'est après que vient la réflexion, et très souvent elle s'en mord les lèvres, les doigts. Parler trop vite et sans réfléchir...

Mais Anog accepte. Sans un mot, mais elle accepte. Et il y a dans son regard quelque chose de trouble, que NightShade ne comprend pas. A peur de comprendre. Serait-ce de la méfiance ? C'est sombre et profond, comme les eaux du lac. Mais est-ce que tout ce qui est sombre et profond recèle nécessairement des dangers, des secrets, des mensonges ?
Non... c'est seulement de l'eau, beaucoup d'eau.
Et dans les yeux d'Anog aussi, beaucoup d'eau. Rien de plus.

La main fraîche de l'elfe enveloppe la sienne, tandis qu'elle laisse la barque glisser à sa gauche, pour en saisir la proue de l'autre main. Elle reprend son avancée à travers la surface de l'onde, à la pointe du sillage qu'elles laissent derrière elles, vaguelettes qui brisent l'éclat de la lune et le reflet des hautes haies du labyrinthe. Les bras écartés, d'un côté le bois qui flotte, de l'autre le corps détendu, relâché. Elle ne tourne pas la tête. Ce serait comme regarder quelqu'un qui rêve. Ca ne se fait pas.

Anog rit, un peu trop aigu ce rire. Peut-être que c'est le froid.
Ou peut-être la chose sombre et liquide dans son regard.
Sans doute le froid, et la bizarrerie de leur situation, aussi. C'est vrai que c'est comique.
Les mots, ils sont un peu hachés. NightShade sourit. Elle n'avait pas l'intention de ralentir. Au contraire, dans son désir de ne pas pousser l'elfe à nager trop vite, elle retenait les battements de ses jambes. Maintenant elle a pris son rythme à elle, régulier, efficace, et le sillage s'étire de plus en plus comme elles avancent vers le coeur de ce miroir reflétant les étoiles.

Le souffle long et profond, la centauresse contemple de tous ses yeux le paysage nocturne, peint à petites touches sur les collines et les monts qui cernent le lac. Les arêtes rocheuses, les arrondis des feuillages, les taches claires des prairies, l'écume blanche d'une lointaine cascade, mince comme une corde tendue le long du flanc d'une falaise. Contre le noir du ciel, par là, des toits, des dômes. Tout est beau comme si ça avait été peint pour elle. Même les nuages paresseux et lourds qui flottent parfois devant la lune, elle les aime.

Là devant des lueurs se précisent, des constructions. Elle reconnaît la forme vue entre les haies du labyrinthe, perchée sur une colline. Des murs, des tourelles.

"Vois, on nous attend là-bas".

Elle voit. Et elle ralentit. C'est plus fort qu'elle.
Il y a trois formes, une grande, deux petites. Des flambeaux ou des lanternes, elle ne sait.
Derrière, la masse imposante mais élégante du Palais, avec des points de lumière dorée qui dansent aux fenêtres.

On nous attend ? Qui nous attend ?

Oui, forcément. Des autres. D'autres gens.
Un Royaume, ça contient le plus souvent plus d'une personne. Ou alors chacun serait roi.
Evidemment qu'il allait y avoir des autres, stupide carne à la vue courte. Même beaucoup d'autres. Tu imaginais quoi, que tu avais fais ce soir ta rencontre du jour, et qu'on ne t'en demanderait pas plus ? Que tu allais pouvoir aller te cacher dans un petit recoin, le temps de t'habituer à l'idée de ne plus être seule au monde ?
Il semble que ce sera un peu plus rapide que ça.

Elle a ralenti, encore. La rive est proche, on distingue les gens qui attendent là, on voit même leurs traits, en partie. Les yeux grands ouverts dans la pénombre, NightShade essaie de contourner la lumière des flammes pour mieux les voir, anxieuse, effrayée. Ces autres qui font partie du Royaume. Choisis, comme elle ? Choisis pour quoi ?
Qu'est-ce qu'elle va apprendre sur elle, en apprenant sur eux ?
Elle devrait être avide de savoir et avancer à grands coups de jambes, au lieu de ça elle perd son rythme, s'empêtre, bafouille des pieds.
Puis, alors qu'il tourne la tête pour adresser un regard ou un mot à l'un de ses compagnons, elle distingue mieux le visage de celui du milieu, celui qui paraît si grand et mince. Son teint pâle. Sa chevelure plus pâle encore. Ses traits harmonieux, précis. Quelque chose devient glacé en elle, et elle cesse de respirer.

Furie de plumes dans sa tête, elle s'embrouille, s'affole, lâche la barque, lâche la main de l'elfe et boit la tasse. Une seconde, deux, sous la surface du lac, à contempler les ondes de lumière sur la surface, par en-dessous. C'est beau. C'est paisible. Et surtout, ça a fait taire les oiseaux, d'un seul coup, sur un couac étranglé. Et là, clairement, elle s'entend penser.

Juste une ressemblance.

Avec qui, aucune idée.
Ami ou ennemi, aucune idée.
Et aucune importance, puisque ce n'est pas lui.

Elle remonte à la surface, toussant l'eau du lac qui s'est introduite là où elle n'avait rien à faire. Reprend un rythme plus régulier, pour assurer un sur-place assez correct, les yeux clignotants fixés sur le trio, là, debout sur la rive. Tousse encore, jette un regard mal assuré à Anog. Est-ce qu'il faut vraiment qu'on y aille ? On ne peut pas retourner en arrière et camper, tiens, sur cette petite plage, là ? Non ?

Mais elle le sait bien qu'on ne peut pas. Reculer, c'est aussi inacceptable maintenant qu'entre les buissons du labyrinthe. Pas tellement parce que la voie est fermée ou que les monstres guettent.
Parce qu'à un moment, on avance, et puis c'est tout.
Elle tend un bras pour choper le bord de la barque, qui s'éloignait.

Elles ont encore avancé, un peu. Elle sent un choc contre son sabot. La terre.
Un pied qui pose, deux, quatre.
Elle est debout, de l'eau jusqu'à l'estomac. Raide comme une statue, les yeux rivés sur les trois formes à quelques mètres de là. Un regard à l'elfe. Tellement de choses qui tournent là-dedans qu'on ne pourrait résumer ça à un mot, ni même à trois. Elle ouvre la bouche, la referme. Regarde Anog, puis la rive, puis Anog encore. Toussote, puis murmure, la voix frémissante.

- Euh... c'est... c'est qui ?
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Message  Anog Dim 17 Fév - 15:43

Le rythme s'accélère, elle prend la vitesse qu'il sied à ses quatre jambes puissantes pour fendre les eaux sombres du lac. Après avoir accepté de te laisser porter, tu retrouves les joies de ton enfance à être ainsi traînée dans l'eau. Des vaguelettes viennent clapoter sur ta poitrine et de petits poissons viennent pincer ta peau en formant de petits monticules autour de ton épaule.
Tu te sentirais presque pousser des nageoires toi aussi. Cela t'amuses beaucoup. Je dirais même que tu jubiles de ces plaisirs discrets et inattendus.
Mais le temps passe si vite quand on s'abandonne.... le plaisir est si fugace quand il surprend que l'agréable traversée est de courte durée.
La rive est là, toute proche.
Et plus elle se rapproche plus ce voyage devient étrangement chaotique. Mais tu ne t'en aperçois pas tout de suite.
Et vous n'avancez bientôt plus du tout et ton corps s'enfonce dangereusement dans l'eau, faisant tanguer l'embarcation qui dérive.
Le maigre courant créé par votre déplacement fait dévier la barque légèrement.
De l'autre côté il n'y a plus de contrepoids. Tu te cramponnes et vois, l'espace de quelques secondes, la centauresse en prise avec une sorte d'inquiétude mêlée de surprise qui lui donne un air un peu idiot.
Tu souris.
M. M a toujours inquiété tes convives. Tu ne t'en étonnes plus guère. A peine si tu remarques, forte de cette habitude, l'angoisse qui traverse son visage et lui tire les traits.


Derrière lui, et ses deux accompagnatrices, l'arc d'un pont de bois mène au Palais qui marque le milieu du jardin au creux d'un vallonnement où aboutissement quantité d'allées sinueuses et de sentes fleuries qui s’enfoncent dans les bois serrés et noirs au flancs des montagnes qui cernent l’île.
Des nymphéas et des nélumbiums animent le bord de l'eau.
Tu aimes qu'ils te caressent les mollets.
Leurs feuilles processionnelles et leurs corolles errantes d'un jaune phosphorescent s'enroulent autour de tes jambes quand tu émerge du lac.
La centauresse n'y prête pas attention, et manque les piétiner tant elle a l'air absorbée par l'immense homme blanc.

Des touffes d'iris embaument l'air frais de la nuit et dressent leur hampes fines en haut desquelles d'étranges oiseaux ont l'air de s'être perché.
Tu te remplis les poumons.

Autour de l'homme, des cypérus, semblables à des cheveux et des luzules géantes mêlent leurs feuillages à des inflorescences phalliques et vulvoïdes.
Tout ici transpire de langueur.

A ton tour tu te dresses sur le parterre d'herbe tendre, tes longs cheveux dégoulinent le long de tes reins ruisselants. Tu inclines la tête pour le saluer. Ainsi que ces deux demoiselles qui s'empressent de venir couvrir ta nudité dans une étoffe épaisse et te frictionner vigoureusement.


« Night Shade, je te présente notre maître queue, M. M. Il fait parti des nôtres. Nous avons cette chance. Il prépare les meilleurs plats que je connaisse sur ces terres, quelle que soit l'étendue de ta faim ! 
Et la mienne est maintenant féroce ! Mais je ne vais pas te convier à partager ces plats divins dans cette tenue, et certainement pas avec cette odeur de vase qui me colle aux narines.
Je te retrouverai dans une heure au Palais.»


Tu te retournes pour l'observer.
Un regard tendre et bienveillant... plein... d'espièglerie.


« N'ai aucune crainte. M. M t'y conduira.
Après t'avoir rendue présentable pour pénétrer dans son temple des plaisirs. Car, il ne nous laissera pas y entrer comme ça,
pas même moi.»


Tu lui souris. Et ton sourire à quelque chose d'énigmatique mais il est sûre de ce qu'il lui signifie. Et tu veux qu'il lui serve d’appui.
Tes yeux semblent à leur tour lui dire qu'elle peut s'abandonner, qu'elle peut, l'espace de ce temps trouver un peu de répit entre les mains d'un étranger.
Mais quel étranger....
Pourtant tu ne doutes pas une seconde qu'elle te fera confiance.
Parce qu'il n'y a pas une ombre dans tes paroles. Pas un seul doute dans tes yeux qui la fixent intensément maintenant.


« Dans une heure.
En attendant, profites de ces minutes qui vont nous séparer.
Ce lieu n'est pas un lieu de résistance. C'est le seul endroit dénué de tout danger, de toute animosité.
Il est bien trop difficile d'y accéder !
Night. Je serai tout prêt. »


Et puis tu t'engages sur le pont, encadrée par les deux jeunes femmes qui marchent à petits pas. T'engouffrant dans le palais par une porte minuscule dissimulée derrière un rideau de glycines qui s'élèvent et se penchent, en voûte, au dessus d'une fontaine où se reflètent leurs grappes tombantes et balancées.
La laissant seule avec le maître des lieux.
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Message  NightShade Lun 18 Fév - 21:47

L'Elfe, elle, ose sortir de l'eau. Elle reprend pied, marche vers la rive en repoussant devant elle les fleurs aquatiques qui lui frôlent les jambes. Elle s'en fout complètement d'être toute nue, d'ailleurs, mais bon, c'est une elfe. Elle n'a pas grand chose à se reprocher.

Dingue comme on peut grandir sans aucune conscience de ce que "pudeur" peut signifier, tant qu'on ne s'est pas pris un regard torve, un sourire baveux, une remarque pleine de grumeaux. NightShade ne se souvient pas de la première fois que ça lui est arrivé, ni du temps qu'il lui a fallu pour comprendre que ces gloussements et ces oeillades étaient provoquées par le fait que les bipèdes femelles ne se promènent presque jamais seins nus. Alors que les centaures ne se couvrent que quand c'est nécessaire, s'il fait froid, pour éviter le frottement d'une courroie, mais jamais pour "épargner les chastes yeux" de leur entourage. Ca ferait vraiment idiot, considérant que la plus grande part d'eux est nue, déjà. Oui mais voilà, ces bipèdes sont vraiment une grosse bande d'obsédés.

Du coup elle a eu droit à une deuxième version de l'expérience. Sauf qu'elle a compris beaucoup plus vite qu'il lui fallait adopter une attitude plus... textile, si elle ne voulait pas que ces messieurs s'exorbitent à chaque fois qu'elle croise leur chemin. Sans doute que l'expérience antérieure a filtré entre les ailes des corbeaux, diffusé à travers les plumes...

Toujours est-il que la hardiesse et la totale absence d'embarras manifestées par Anog la perturbent un peu. Autant elle s'en fiche de se retrouver à poil devant une autre fille, autant là... un inconnu, en plus. Et avec une tête qui... qui... qui ne lui revient pas, voilà. Bon, déjà il ne reluque pas ouvertement l'elfe, c'est une bonne chose, et ça laisse présager qu'il risque encore moins de la "dévisager" elle, mais... mais. Et puis c'est tout. Mais.

Mais !

Qu'est-ce qu'elle fait... elle s'en va ?

Elle s'en va.
Elle sourit, elle rassure, mais elle s'en va, c'est clair et net.
Elle laisse une traîne mouillée dans le sillage de ses cheveux qui ruissèlent, et s'en va, les deux petites créatures après elle.

Est-ce que c'est un test ?

Il y a eu une lueur étrange dans l'oeil d'Anog, au dernier moment. Le rouge.

Et ca y est, elle est seule.
Enfin, seule... si seulement !
Non, là elle est seule en face d'un type complètement inconnu, planté sur le rivage comme un roseau, à part que la brise ne le courbe pas.

Hors de question que... que...
... mais enfin pourquoi elle m'a pas attendue ?
Je suis censée faire quoi, moi ici ?


... confiance...

Faire confiance, c'est sans doute ce qu'il y a de plus difficile. Quelque chose l'attirait vers Anog. Quelque chose en cet homme la repousse et lui donne l'envie de fuir. C'est pareillement inexplicable. Mais nettement plus difficile de surmonter la seconde impression que de s'abandonner à la première.

Elle est restée plantée dans l'eau, les quatre pieds dans les herbes aquatiques, la surface ondoyante qui lui lèche les clavicules et lui déploie une collerette de cheveux mouvants autour des épaules, une main sur le bord de la barque. Elle fixe l'homme, sans se rendre compte probablement qu'elle a le visage dur et un peu incliné, comme une falaise aux sommets dangereusement instables, le genre de machin à vous tomber sur la tronche au moindre pet de mouche un peu trop vigoureux.

Et chaque seconde qui passe l'ancre un peu plus au fond.

Je peux pas.

Il faut.

Je peux pas.

Et là, elle déteste tout le monde, et elle en veut furieusement à Anog de l'avoir plantée là. Quelles que soient les excellentes raisons, rien à foutre, elle aurait pu, elle aurait pu... Elle aurait sûrement pu quelque chose.

Toute la méfiance du monde dans les yeux, immobile et pleine de mouvements contradictoires, elle reste plantée là comme un crétin de saule, enraciné au fond, aussi incapable d'avancer que de s'enfuir. Sauf qu'un saule n'est pas conscient de ça. Elle si. Et elle sent chaque seconde la dissoudre un peu plus.
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Message  Monsieur M. Mar 26 Fév - 12:36

Lui aussi la fixe de ses deux grands yeux jaunes taillés en amande qui ne clignent pas.
Une légère brise fait voleter une mèche sur son front qu'il plaque soigneusement sur le sommet de son crâne
recouvert d'une épaisse toison de cheveux fins et blancs, parfaitement peignés.
Son visage taillé en « v » a ce grain de peau parfait des sculptures en marbre poli.
Ses lèvres charnues d'une pâleur dérangeante laissent flotter un vague sourire de satisfaction.
Il prend le temps d'observer, de ne pas heurter.
Teste, à cette distance où l'on prend le temps de se jauger en silence, l'effet de sa présence inattendue.
Ce qu'il peut y avoir de féminin en lui est étrangement viril.
Sa grâce presque juvénile dégage une sérénité et une force à toute épreuve.
Entre ses longs bras, une épaisse toile de velours gris dont il parcourt les côtes d'un doigt léger qui semble pianoter
quelques notes de musique.

Il observe l'inclinaison de la tête.
Comme un avant goût de menace et de résistance.

Le visage fin et long de la centauresse, les yeux jaunes et piquants, inquiets, un peu ébahis,
son regard altier mais sans arrogance ni indulgence,
le nez effilé,
la bouche boudeuse et légèrement pulpeuse,
la peau couleur de cendre,
la chevelure étale, immenses tentacules de soie.

Émergeant à peine de l'eau noire les épaules déliées,
qu'il devine, en fin connaisseur,
le bras droit plus musclé que le gauche,
les bras souples,
le torse ciselé,
la poitrine haute et les seins d'une rondeur exquise cernés de pectoraux discrets et fermes,
le dénivelé des côtes saillant sous la peau,
la taille biseautée, marquée sans l'être trop, suffisamment pour que le passage à la masse chevaline ne soit pas abrupte.

Aux hanches fortes la césure,
l'échancrure du dos se poursuit jusqu'à la croupe haute et blanche, audacieuse,
qui trouve sa résolution dans une longue queue qui bat l'eau comme un fouet,
mollement freiné.

Son poil qui fume légèrement au dessus de l'eau, tiède et doux, fine couche de craie sur le gris de la peau,
épaisse, pense le divin écorcheur,
ses flancs aux muscles longs et fins qui commandent les graciles antérieurs,
la puissante machine des postérieurs propulsés par l'excès de sang,
sa masse volumineuse dont la faculté à se soumettre, à se donner, est, dans l'ordre animal, l'un des plus bouleversants témoignages de perfectionnisme et de volonté.

Il inspire.
Laissant son imagination pénétrer la danseuse équine.
Savourant la difficulté de la tâche à venir.
L'oeuvre rêvée dans la chair massive et brute.
Les mutations en cours dans son esprit.
La métamorphose de l'animal sous ses doigts.

Derrière lui, ici et là, cernant la pierre blanche et monumentale du Palais,
sur des éminences de terre et de rocs tapissés de fougères naines, d'androsaces et d'arbustes rampants,
des temples abritant des bancs où se sont sans doute enlacés des amants, lancent, au dessus des bambous,
le cône pointu de leurs toits ramagés d'or.
Les nervures délicates de leurs charpentes se recourbent vers le ciel où pendent des lampions colorés qui s'allument simultanément au claquement de ses doigts
qu'il plongent à nouveau dans la masse épaisse de la toile.

Le long des pentes, des espèces pullulent ; faisant bruire leur crécelle délicate dans la nuit.

Il franchit les quelques pas qui le sépare d'elle, dans un froissement d'étoffe.
Un bruissement de plumes.
Incline la tête et le buste en signe de profonde révérence comme s'il accueillait quelque vestale.


« Daignerez-vous me rejoindre ? »

Étend devant lui l'énorme toile, l'invite à s'y nicher, formant un écran entre elle et lui.
Dissimulant ses yeux.


« Si vous restez ainsi les jambes de l'eau, je crains que vous ne soyez le prochain festin de quelque affreuse créature. »
Monsieur M.
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Message  NightShade Ven 1 Mar - 11:02

Il regarde beaucoup trop fort, ce type, et il a des tas de choses indéterminées, et donc menaçantes, qui lui circulent à travers les yeux. Idem pour le sourire, que NightShade décide d'emblée de détester. Devenue brutalement insensible à la beauté envoûtante des lieux, elle focalise toute son attention sur l'homme, prête à réagir au moindre mouvement.

Il regarde beaucoup trop fort et surtout il oublie de s'en tenir au visage. Tous pareils. Pour eux on est soit de la viande, soit un support à nichons. Soit les deux, même. De toute manière une chose à fixer avec plein de gourmandise aux coins des lèvres, et c'est bien ça qu'elle croit y voir, sur ce visage trop parfait, et une sorte d'avidité dans les yeux. Vrai ou faux, elle n'a pas l'intention de prendre le temps et le risque de le découvrir. Ce type n'approchera pas, point final.

Et il approche quand même, l'imbécile, comme si son regard à elle n'était pas assez clairement méfiant, comme si toute son attitude ne grondait pas qu'elle est fermée comme un poing, et prête à cogner, attention. Eventuellement à réfléchir et à le regretter, mais après. Il approche, ouais, et il lui fait une de ces révérences à combler l'égo enflé des princesses.

Mais tu te plantes, le marbre, je suis pas une princesse, je suis personne, si j'ai fait un jour quelque chose pour mériter le quart de la moitié de ton foutu respect auquel je ne crois même pas une seconde, j'ai oublié. Tu peux calmer le jeu côté salamalecs et te fourrer ton tapis rouge là où ça te chantera. Je veux juste que tu restes à distance.

Même la voix du type est tellement veloutée que c'en est presque une insulte. "Daignerez-vous gnagnagna"... Et puis quoi encore. Comme si elle était quelqu'un qui "daigne", elle la crasseuse sortie du néant. C'est les duchesses qui "daignent", les grandes prêtresses ou les riches à millions. Pas les rôdeuses efflanquées avec des allures d'animal sauvage qui trempent dans des lacs en pleine nuit, leurs guenilles en vrac dans une barque. Ca lui fait penser qu'Anog a oublié ses robes. Abandonnées derrière, froides, inertes. Abandonnées...

Elle a un trou dans la poitrine, de la colère plein le ventre et des vrombissements dans les oreilles. Même pas des questions, des images, des fragments d'images qui imaginent la suite, les suites, les reflets sur le lac brisés par son corps quand elle repart vers l'autre berge, la gueule en sang du type en marbre, un sabot en avant-plan et un cri dans ses yeux pâles, une centauresse blanche et tranquille qui tend un bras plein de grâce, de l'aisance dans le sourire et de la chaleur dans les yeux d'encre, c'est qui celle-là qui se prend pour une noblesse, une autre centauresse, rien à voir, maigre comme vieux clou plein de rouille et aussi sale, qui cavale comme une cinglée déchirée par les branches tordues d'une forêt sombre, de la folie qui lui tord le visage, et elle elle la reconnaît, les yeux jaunes, c'est les siens.

Cogner, ou fuir. Ca fait pas beaucoup de choix.

C'est là que le marbre lui balance le coup des affreuses créatures, et ses yeux s'écarquillent le temps d'une fraction de secondes.

Je le savais !
Des monstres, y'en a ! Je l'aurais juré !


C'est instinctif, surtout qu'il y avait quelque chose en elle qui le sentait, ce foutu lac est plein de menaces immenses et noires, et la seule chose qui l'en protégeait, c'était la présence lumineuse de l'elfe. NightShade ne fait qu'un bond, un drôle de bond de travers dans une grande éclaboussure, suivi de quelques pas de côté, désordonnés. Elle est sur la berge, et fouille le lac des yeux. Et elle les voit, les sillages. Loin encore, mais ils sont là. Ils ont toujours été là. Et maintenant qu'elle est partie, elle, la lumière, ils approchent.
Ils approchent.
Et lui aussi.

La panique lui vibre le long des os comme le bruit d'un gant d'acier sur une plaque de métal, comme le hululement glacé et lugubre d'une scie musicale. Et elle lutte encore pour ne pas céder. Entretenir la colère, cette futile colère qui tient quand même un tout petit peu chaud. La cible est là, et il doit bien se foutre de sa gueule derrière son grand machin gris. Du coin de l'oeil la centauresse voit la barque tanguer et s'éloigner un peu, derrière l'épaule de l'homme. Sa fuite l'a repoussée et maintenant il est entre ses maigres possessions et elle. Comme fait exprès. Elle enrage. Et elle mâche sa rage avec entrain, pour ne pas sentir le goût de la peur.

Une main tendue attrape le bord de l'étoffe grise qui s'envole avec un grand froissement. D'un geste brutal, elle la lui a arrachée des mains, et dans le même mouvement l'a enroulée autour d'elle comme une sorte de toge à l'étoffe trop raide pour faire de beaux drapés. Elle la serre, un poing noué refermé sur le tissu plaqué sur l'épaule pour retenir l'autre pan et lui garder quand même un bras libre. Le droit. La toile retombe sur son dos, glisse sur sa croupe et pend le long de ses membres raidis. Crispée et frémissante, elle le massacre des yeux, plus furieuse encore quand elle croit saisir un sourire en coin qui lui tiraille quelques mauvais souvenirs, repoussés à grand peine dans leur obscurité.
C'est pas le moment.

- Je déteste qu'on me fixe.

Sans déconner.
En tout cas c'est clair, évident, que c'est une chose parmi les mille choses qu'elle déteste, qu'elle craint, qui la troublent ou la font souffrir dans sa situation actuelle. La partie émergée de l'iceberg. Mais c'est celle qu'elle accepte de dire dans l'immédiat et elle y a mis tout ce qu'elle aurait pu mettre dans les autres. Qu'il n'approche pas ou il va le regretter.

Elle, par contre, elle le fixe, après un autre petit regard désolé vers la barque qui s'en va en promenade toute seule sur le lac. Elle le surveille, en ignorant l'inconfort et le froid de sa peau et de sa robe trempées et ruisselantes, des cheveux collés sur ses joues, son dos et ses épaules, de la longue queue gorgée d'eau qui se plaque à ses jarrets.
Embêtant s'il faut courir, ça.
Un grand battement sec en coup de fouet pour en chasser l'eau, c'est mieux.
Les gouttes ont volé tout autour d'elle, probablement jusqu'à lui, et elle s'en fout, et c'est tant mieux même si elle l'a arrosé.

Encore un bref regard désolé vers le chemin qu'a pris la prêtresse. Elle est à deux doigts de partir à sa poursuite en pleurant de frousse comme un enfant perdu.
Mais pas question de lâcher le marbre des yeux plus d'une seconde.
Là dans l'instant il concentre toute la méfiance qu'elle a pour cet environnement étranger, menaçant.
Toute la peur sourde qu'elle éprouve depuis qu'elle a posé le pied sur les dalles du jardinet, les yeux sur la statue au regard froid.

's'agit vraiment pas qu'il mette son pied de travers, celui-là.
Vraiment pas.

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Message  Monsieur M. Ven 1 Mar - 15:42

Pendant ce temps....










Lui...

il rêve ....


derrière l'écran qui le dissimule...


A d'étranges....

choses....









Mais la toile s'envole de ses mains comme dissoute brutalement.
L'arrache à ses... mirages....
Lui brûlant les mains comme une corde tirée trop brutalement.
Il ne bouge pas pour autant, offrant ses paumes rougies et vides à la nuit.




Il n'a pas encore relevé la tête.


Il écoute la façon dont elle enveloppe son corps dans l'épaisseur du drap.
Comment les plis grossiers retombent sur ses flancs et sur son torse arqué.
Elle a des gestes d'une ancienne noblesse malgré la gaucherie dont elle fait preuve sur ses jambes encore mal assurées.
Elle sait toucher l'étoffe.
Elle n'a pas cherché une seule seconde dans quel sens il faudrait la prendre, ni comment s'en recouvrir pour qu'elle tienne,
comme si, de toute éternité, elle avait su l'art de se vêtir d'un rien avec élégance.

Tous ses sens sont en éveil car la peur de son hôte il la sent et, il sait bien qu'au moindre faux-pas elle commettrait un acte irréparable en ces lieux.
Et il ne veut pas l'y inviter.
N'y la pousser...

Il entend le clapotis de la barque qui s'éloigne, maigre refuge auquel elle se rattachait sans doute.
Il sourit.


Je déteste qu'on me fixe. 

Son sourire s'efface à peine.

« Je vous demande pardon, je ne voulais pas vous offenser. »

Puis il se redresse, les yeux perdus au loin comme passés à travers elle.
Et chuchote presque.


« Ces choses auxquelles vous deviez tenir encore ne vous seront plus d'aucune utilité, ne les regrettez pas.
Ces choses du passé qui ne servaient qu'à cacher à demi votre misère et votre désarrois ne sont plus dignes
de la femme que vous êtes en train de devenir, ici même.
Vous appartenez au Royaume, quoi que vous fassiez désormais, il vous reconnaîtra,
et je vous servirais.

Si vous le souhaitez, il vous suffira d'en faire la demande pour qu'ils vous soient remis.
Aussi vite qu'il se pourra. »



Il sait son regard planté sur son front, menaçant, craintif.
La jambe nerveuse prête à botter pour lui broyer les viscères ou ruer pour lui fracasser le crâne.
Pourtant, il est d'une sérénité absolue face à elle, ne craignant ni sa terreur, ni sa colère.

Il en a connu d'autres de ces fougueux poulains agités par le sang que la peur rendaient féroces et qu'on croyait intraitables
avant qu'ils ne viennent lui manger un quartier de pomme dans la main
et attendre la caresse qui fait hérisser la pointe du garrot.


« Si vous voulez bien me suivre...
C'est par ici. »


Et il pointe d'un doigt délicat une sente, de l'autre côté du pont, située à l'opposé du chemin qu'a emprunté précédemment Anog.

Il le traverse d'un pas languide et dansant, presque féminin, agitant le fourreau de ses plumes dans la nuit
semblable à un immense oiseau de proie mal à l'aise sur le sol.


Il délaisse une allée circulaire sur laquelle s’embranchent d'autres allées sinuant vers le Palais blanc et qui longe un talus,
planté de quantité d'arbustes rares et précieux, et il prend la petite sente qui, dans une dépression de terrain,
aboutit directement au Palais rouge.

Les sentes et allées qu'il foule sont sablées de brique pulvérisée qui donne, en plein jour, au vert des pelouses et des feuillages une extraordinaire intensité et comme une transparence d'émeraude sous la lumière d'un lustre.

A sa droite , des pelouses fleuries ; à sa gauche, des arbustes encore.
Acers rose, frottés d'argent pâle, d'or vif, de bronze ou de cuivre rouge, qui miroitent dans la nuit ;
mahonias dont les feuilles de cuir mordoré ont la largeur des palmes du cocotier ;
éleagnus qui semblent avoir été enduits de laques polychromes ;
pyrus, poudrés de mica ;
lauriers sur lesquels papillonnent les mille facettes d'un cristal irisé ;
caladiums dont les nervures d'or sertissent des soies brodées et des dentelles roses ;
thuyas bleus, mauves, argentés, panachés de jaunes malades, d'orangers vénéneux ;
tamarix blonds, tamarix verts, tamarix rouges,
dont les branches flottent et ondulent dans l'air,
pareilles à de menues algues dans la mer ;
cotonniers dont les houppes s'envolent et voyagent sans cesse à travers l'atmosphère ;
salix et l'essaim joyeux de leurs graines ailées ;
clérodendrons étalant leurs larges ombrelles incarnadines comme des parasols.

Entre ces arbustes, dans les parties habituellement éclairées par le soleil,
des anémones, des renoncules, des heucheras se mêlent au gazon ;
dans les parties sombres, d'étranges cryptogames,
des mousses couvertes de minuscules fleurs blanches,
et des lichens comme une agglomération de polypes.

Devant le voluptueux Palais rouge, on a, par un raffinement diabolique, accroché aux fûts des colonnes torsadées des calystégies pubescentes, des ipomées, des lophospermes et des coloquintes,
enroulant leurs fleurs parmi celles des clématites et des atragènes convulsées
comme des femmes lubriques...

Il écoute son pas qui le suit, de loin, parfois hésitant.
Mais elle est là, le poing serré sur l'étoffe, le regard incendié et perdu.
Le coeur dans la gorge.

Il s'arrête, lui tournant toujours le dos,
lui signifiant ainsi qu'il ne la craint pas.


« Ici nous trouverons de quoi vous préparer et vous vêtir avant de rejoindre Anog.
Désirez-vous que ce soit une femme plutôt que moi qui s'occupe de cela ? 
Si tel est votre choix, sachez toutefois que j'en superviserai le bon déroulement. "



* Et je doute que mon regard à ce moment là vous soit plus agréable que mes mains posées sur vous.*

Mais cela, il ne lui dit pas.

Monsieur M.
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Message  NightShade Dim 3 Mar - 20:13

Comme quoi parfois être désagréable ça paie.
Le marbre accuse réception du message, son sourire s'étiole et c'est une bonne chose, parce que NightShade déteste qu'on la fixe, elle déteste encore plus qu'on se foute de sa gueule, fut-ce discrètement. Il y avait suffisamment de sincérité dans les excuses de l'homme pour qu'elle les accepte. Elle ne daigne condescend pas à lui accorder plus qu'un hochement de tête minimal, assez sévère pour geler la moitié du lac.
Mais bon, elle a pas tapé dessus, c'est déjà pas mal.

L'homme poursuit, il faut bien l'écouter et elle fronce les sourcils pour forcer son attention, car il parle très bas. Sûrement un truc pour la faire approcher, mais elle est pas si conne et elle reste à distance. Elle a une ouïe excellente de toute façon.

Ma misère et mon désarroi... ben tiens. Et t'as sucé ça de ton pouce ? Ou c'est le compliment standard ? Plus dignes de moi, mes affaires ? Et t'es combien sous tes plumes pour t'arroger le droit d'en juger ?

Il reste le pendentif, et c'est tout. Ce fichu pendentif bizarre qui refuse de se laisser enlever, voler ou perdre. Il est caché sous la toge improvisée, à l'abri des regards, des convoitises et des questions. Sa propriétaire regarde la barque s'éloigner avec un peu de mélancolie. Elle a l'impression que c'est sa liberté de choix qui s'éloigne dans cette barque.

Sauf que le choix a été fait quand j'ai posé le pied dans ce jardin, au premier pas que j'ai fait pour la suivre. Cette barque n'est rien. Ces objets ne sont rien, les mots de cet homme sont justes.
Bon, même si ça m'écorche la gueule de devoir l'admettre.


Pourquoi d'ailleurs la présence de ce type la met-elle aussi mal à l'aise ? C'est juste un homme comme un autre. Un peu plus beau peut-être, un peu plus pâle. Un peu plus étrange. Elle hausse les épaules, elle ne sait pas. Et c'est sans importance. Il ne réagit pas à sa froideur et à son silence presque grossier. Sa colère retombe un peu, même si la méfiance reste. Et la peur, qui émerge à présent, lisse et glacée comme une plage à marée basse.

L'homme part et la rôdeuse n'a plus d'autre choix que de le suivre. Que ferait-elle plantée ici, seule et butée comme une mule effrayée, à attendre... attendre quoi ? Anog ? Qu'a dit Anog, avant de partir ?

"Je te retrouverai dans une heure au Palais."

Une heure...
Combien de minutes encore ?


Un gros soupir agacé lui siffle entre les dents. Pas d'autre choix. Elle a choisi de faire confiance à l'elfe, alors autant faire confiance aussi à sa décision de la laisser avec cet homme pour guide. Evidemment c'est plus difficile, hors de sa présence, sans ce quelque chose d'étrange et de déconcertant qui la pousse à la croire et à la suivre. Mais le moment en vaut un autre pour décider sa tête à suivre son coeur. Le coeur est perdu, transi, trop con pour comprendre qu'il faut prendre patience. Très bien. Pour comprendre, elle a un cerveau. Et comble de chance, il commande à ses muscles.
Elle se met en marche à la suite de l'homme.
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