Royaume d'Achaïa Che'Hina
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Monture d'écorce pour cavalière à moustaches

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Monture d'écorce pour cavalière à moustaches Empty Monture d'écorce pour cavalière à moustaches

Message  L'homme-arbre Lun 11 Mar - 19:15

(Venus d'ici...)

Ma marche est régulière, une racine après l'autre sinue vers l'avant, et je me déplace à travers herbes sauvages et buissons bas, à la manière d'une étrange pieuvre terrestre. Le froissement végétal salue mon passage, les petits yeux en goutte d'encre des rongeurs et oiseaux coureurs nous regardent nous éloigner, moi et mon couvre-chef en fourrure. Qu'elle regarde, la petite vagabonde, les doux reliefs piquetés de fleurs, ombrés de bosquets et de fourrés, décorés de pointes rocheuses éparses comme poussées là, floraisons minérales plantées par un jardinier de génie. Il y a ici une magie puissante et profonde, une force créatrice plus palpable que nulle part ailleurs. La main immatérielle d'une entité éprise à la fois de beauté ordonnée et de sauvagerie. Je ressens cette grande présence silencieuse dans chaque frémissement de l'air et du sol. La sentira-t-elle, elle ?

- Poule et poule... oui il me faut convenir que tu as raison. Déjà il y a les prolifiques et les stériles. L'oeuf quotidien et l'oeuf annuel. Doit-on conclure que celle qui ne donne pas au monde son produit est incapable de le produire ?

Est-ce qu'elles se retiendraient ? Y a-t-il des poules timides ? Ou juste des avares ?


Et le pire, c'est que j'y réfléchis vraiment ! Suis-je en train de presser l'oeuf de la pensée à pleine main, en délicatesse, ou vais-je nous asperger des débris gluants de cette image qu'il aurait mieux valu s'abstenir de chercher à préciser ?

- Doit-on en plus considérer la vie dans l'oeuf ? Entre l'oeuf qui ne sera jamais percé par le bec d'un poussin et celui qui s'ouvrira sur une nouvelle existence, une nouvelle créatrice d'oeufs, peut-être, n'y a-t-il pas un monde de différence ? Briser un tel oeuf n'est-il pas infiniment plus sacrilège ?

Voilà que je m'emballe... C'est ça de sentir des tas d'idées inattendues éclore sous ma vieille écorce.

- De plus, bien d'autres oiseaux donnent de ces petites choses, plus petites et fragiles, plus décorées, ou au contraire énormes et solides comme la pierre. Et les reptiles... Fichtre ! Cette image nous emmène très loin, jeune fille !

Et je songe, je songe. Quelle réflexion peut-on extraire de l'analogie de la pensée et de l'oeuf ? Y inclure les autres animaux pondeurs, les reptiles, mais aussi les poissons, les batraciens, les insectes même ! Doit-on y voir la grande diversité de forme et de couleurs de la pensée intelligente, la rareté solide de l'oeuf d'oiseau contre la myriade molle et translucide du frai ichtyen ?... Oui, comme les oeufs de toutes sortes, il y a des pensées flasques et sans résistance, émises par milliers, où l'unique oeuf n'a que la valeur d'une fraction infime d'un tout innombrable, où il n'est qu'un petit peut-être dans un tas d'autres peut-être, une probabilité maigre d'être celui qui survivra. Et en regard de ces pauvres grains de vie potentielle, les structures solides et lisses, résistantes mais toujours fragiles à la fin, des oeufs d'oiseaux. Images de la pensée construite, formée en mots, précise et arrondie en cuirasse face aux menaces du monde, abritant les sucs en mutation de la vie embryonnaire. L'oeuf de poule, l'un des plus banals en apparence, pourtant presque parfait dans sa forme et sa substance. L'oeuf de poule...

- Tu aimes les omelettes ?

Quoi, saugrenu ?
A peine...

L'homme-arbre
L'homme-arbre

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Message  Murmure Mar 12 Mar - 17:01

« Oui il y a poule et poule.
Et puis toutes ces choses que tu dis. Les beaux secrets. Les choses de la vie.
Oh j'aime parler avec toi. Et c'est toute la grâce du monde un vieil arbre doué de parole.
Et je ne vais pas te quitter de si tôt ! Pour une fois que je peux parler avec quelqu'un qui me répond.
Et qui m'écoute.
Et qui ne se dit pas que je suis soit complètement folle, soit complètement ivre, soit complètement embouchée.
Oui il y a poule et poule.
Il y a la sotte geline, qui se gave de caryopses et trottine comme si le vent la giflait des deux côtés à la fois, aux pattes fripées, au croupion aveugle, fofolle crottée qui perd ses plumes et son temps avant de finir sous le bec du coq qui la côche en battant des ailes, hissé sur ses ergots. Et il y a la Hambourg, dorée, argentée ou pailletée, qu'importe, reine vive et svelte qui pond comme Socrate doute, au déhanché mutin et au plumage luxuriant. Il y a aussi la Denizli, la Dominicaine, la Dorking, la poule Drente, la poule de Dresde, l'hideuse Empordanesa, l'espagnole à face blanche, l'Euskal-Oiloa, la Famennoise, la Fauve de Hesbaye (une engeance!), le poule Frise, la Huppée d'Annaberg, la Géante de Jersey, la Hollandaise huppée (laisses-moi rire...), la Koeyoshi, la Lakenvelder, la Langshan, la Lehgorn sous toutes ses formes répréhensibles.
Mais le fait est que la chose se résume à deux races, la Hambourg et les autres.

Monture d'écorce pour cavalière à moustaches Hambou10

Ma petite chérie et les toutes-juste-bonnes-à-rôtir. 
Et les omelettes je trouves ça d'une vulgarité sans borne et sans retour.»


Assise en tailleur dans les hautes branches, je sens que le vent tourne encore, et que la terre tourne elle aussi, un peu plus vite, et que ce que je prenais pour un frisson encore indéfini s'est changé en tremblement, un tremblement qui dilate mes os et me raidit la nuque, d'abord.
Un hoquet va et vient dans mon œsophage, à moins qu'il ne s'agisse d'un sanglot, il pourrait faire nuit que je ne serais même pas surprise, seulement intriguée.
La possibilité du changement est semblable à ces grands royaumes dont on m'avait parlé en se gardant bien de m'y emmener, même si je savais qu’un jour j'irai là-bas, et que j'y croiserai d'infinies occasions de devenir autre.

La tornade magique arrive vite, trop vite, et je m'appelle toujours Murmure mais le nom des choses qui forment le lexique de mon quotidien n'est déjà plus le même, la botte de paille ne s'appelle plus botte de paille mais éclaboussure, démence, effusion ;
la porte de ma maison n'est plus une porte mais un abîme vertical qui se rebiffe puis file dans les airs ;
quant à ces poules que j'aime tant, que je prend plaisir à torturer,
elles ont dû se réfugier dans l’œuf de leur cul pour mieux s'enfuir par le cri de leur bec,
en tout cas elles ne sont plus là, la couveuse est vide,
il n'y a plus à ses abords que l'ombre des renards et le sang des plumes.
Les griffes des branches du vieil ent se prennent dans mes poils, je ne sens que son haleine pleine de terre et de moucherons.
Il se produit alors un ébranlement qui touche aussi bien à l'extérieur qu'à l'intérieur des formes, une secousse dénuée d'émotion ou de volition, et du coup les proportions, les dimensions, les relations, les distances et les fréquences cessent de charpenter le monde que je connais.
C'est à la fois inquiétant et drôle.
Au sein de la présence jaillit l'absence : je connais cela, car je sais aussi pleurer sans pleurer,
rire sans rire,
mentir sans mentir,
mais j'ignorais jusqu'à maintenant que cela puisse se produire à une telle échelle.

Qui donc préside au mouvement de cet arbre comme à celui de la tornade ?
Au moment où je me pose cette question, je surprend la réponse, jetée par le vent, secouée par toutes les fibres de l'arbre conjuguées en un furieux mouvement effroyablement lent :
personne.
Ou bien la magie.
Cette chose qui n'existe que dans les histoires.
Soit.
En ce cas, pourquoi ne pas en profiter pour perdre connaissance ?
Pourquoi ne pas déroger aux lois physiques et à tout ce qui s'oppose aux joies de la panique ?
C'est peut-être ainsi que commence le monde, par un tour de passe-passe un peu plus sophistiqué que celui conçu par les légendes.
Il est temps que les choses, foudroyées, rompent et décollent.


La maison décolle.
L'arbre décolle.
La tête de Murmure décolle.
Murmure décolle et elle applaudit des deux mains.


Et ma nouvelle demeure n'est pas une fusée, et je ne sais évidement pas où je vais.
Je ne suis même pas certaine de connaître la différence entre une tornade et un cyclone, entre disparaître et partir, oublier et nier,
ce sont là des nuances réservées aux adultes,
aux nantis de la pensée.
Et je suis encore une gamine, une sale gamine d'à peine dix sept étés.

J'ai la main moite, la droite, bien sûr.

Je suis euphorique de peur, mais c'est une peur dont j'ignore les coordonnées, qui ne semble pas se diriger dans une direction particulière,
et pour cause puisque me voilà otage d'un tourbillon de feuilles.
Fétu de paille dans le vortex de bourgeons.
La rotation interne de l'arbre a quelque chose en soi de rassurant car elle me ramène toujours au centre ténu que j'occupe dans le monde,
le monde qui jusqu'ici était rond comme une assiette que rien ni personne,
et pas même la maladresse,
n'aurait osé briser,
mais le tournis est tel dans ma tête que je me demande si le sang, comme le lait,
ne va pas prendre une saveur aigre dont ma bouche se lassera vite.
Ce que voient mes yeux n'est plus que la répétition du même cadre qu'offre une fenêtre.

Qu'ai-je à perdre ?
A quoi vais-je devoir renoncer sinon à une existence d'un gris insupportable, un gris qui telle une maladie a infecté paysages routes champs oncle tante ?
Est-ce le gris de la vieillesse ou celui d'un temps où la couleur était interdite ?
Le gris des choses désargentées, celui des mains acquises à la poussière ?

Cette tornade doublement reprise dans le mouvement de l'arbre est peut-être la chance de ma vie, et si j'ai un brin de jugeote ou d'imagination j'y verrai un véhicule d'un genre nouveau.

Bien sûr, le vertige a ses mauvais côtés, bien sûr l'envie de vomir est parfois aussi forte que celle d'avouer, et souvent tout cela se confond, comme si le corps voulait sortir de lui-même à la faveur de mouvements régulés par la répulsion et/ou l'excitation trop grande.


Murmure a déjà rêvé cette tourmente, ce basculement, cet emportement,
l'insomnie lui a déjà enseigné ce qu'un jour son corps découvrira,
sous ses formes les plus variées et les plus inattendues.
Mais pour l'instant sa maison tournoie comme aucune maison n'a jamais tournoyé.
Tout là-haut, au sommet d'un arbre.
Le vent prisonnier du cône turbulent de son faîte feuillu, pousse des cris qu'elle n'entendra que bien plus tard,
quand elle aura grandi et que la terre aura soif de bombes.

Pour l'instant elle vit dans l'ignorance souhaitable et absolue de son devenir,
tout comme le monde vit dans l'ignorance involontaire de sa personne.


Et de là haut elle pense encore à ceux qui lui ont servit de « siens ».
Qui n'est qu'une autre branche du règne animal, soyons clairs là-dessus.


Mais où sont donc Tante Tic et Oncle Toc ? Où sont-ils ?
Ils se sont sûrement terrés dans cet abri que je n'ai pas réussi à atteindre ;
ils sont dans le cloaque protecteur, au fond de la terre,
au cœur du gris dont je viens miraculeusement d'échapper.
Ensemble, tels deux conspirateurs encore ivres de poudre,
ils s’entretiennent sûrement à voix basse des maïs décapités et des bêtes suspendues aux branches,
ils n'ont certainement aucune idée de ce qui se passe, ici et maintenant, au centre de la panique jubilatoire.
Pendant que je deviens moi, Murmure des murmures, la pilote d'un engin formidable, d'un engin-tornade dont il me reste à découvrir les innombrables boutons de commande, rouges, verts, noirs, les leviers et les manettes, les discrets interrupteurs.
Oncle Toc et Tante Tic ?
Allons ! Ces deux-là ne sont pas l’abscisse et l'ordonnée qu'il me faut pour dompter ces vents contrariés.
Cette machine infernale magique et magistrale.

Je ne suis pour l'instant qu'un murmure lambda, un lepton sans proton pris dans le grand, aïe !
Cyclotron de, oui, l'inconnu, turlututu, mon crâne heurte l'angle d'un nœud -rrrrfff- me voilà dans le cyclone, dans l’œil niais,
là où rien ne cligne sinon des milliers d'autres cyclones, de longs cônes de mousseline qui se déboîtent,
se déhanchent et se crispent par saccades,
impossible de savoir quelle forme y prend le silence, à quel degré d'imposture ou de turbulence il s'y trouve porté,
quels bruits y sont sacrifiés, impossible d'y déployer une pensée assez solide pour que j'ai le moindre espoir d'en réchapper
– aucune, nous le savons, n'y résisterait- , car la tempête se lève, sévit, ses vents se liguent,
formant un bulbe convoluté aussitôt étiré en entonnoir.


Sent-elle la couche d'air froid patiner et cahoter sur la couche d'air chaud ?
Sent-elle l'une obliger l'autre à s'ériger en une colonne de disques articulés, voraces ?
C'est fait, la tornade est née, elle naît sans cesse, se visse et se désosse sur elle-même avec volupté,
singeant parfois l'immobilité à une vitesse de cinq cents kilomètres-heure, compressant heures et distances,
elle s'avance et se recentre à force de déglutitions, de régurgitations, la voici ventousée à la terre et au ciel,
il est trop tard,
et j'ai le sentiment, oui, j'ai le sentiment que nous ne sommes plus mes amis sur les terres grises de Sarwyen !

Alléluia !

Et devant moi le Royaume d'Achaïa Che'Hina se déplie, m'offrant l'effarant panorama de ses multiples volumes,
l'arc tendu de ses couleurs insensées et la nervosité que peuvent revêtir les rythmes pointés des sons
dans son mirage de Grande Fugue.

Sa magie me fouette la moustache, et je me sens l’œil droit qui pique d'émotion,
et le cœur tout boursouflé d'un je-ne-sais-quoi,
j'embrasse mon gros destrier d’écorces fauves en voyant devant moi s'ouvrir l'inénarrable Jardin qui me cogne l'hippocampe de sa lumière.
Ou toute autre chose chose à l'intérieur de mon crâne pas assez vaste pour contenir sans pleurer la beauté d'un tel lieu.


« Et ben... et ben merde alors.... »


C'est tout ce que ma bouche est capable de concéder au principe de réalité.
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Message  L'homme-arbre Sam 23 Mar - 11:05

Je me demande si j'ai bien fait.
Les mots de cette délicate petite chose à fourrure laissent à penser qu'elle n'a pas souvent trouvé d'interlocuteur suffisamment vif et patient pour prêter attention à son gazouillis continuel et tenter même d'y répondre parfois. Du coup il se pourrait bien que je me retrouve arbre à chat de manière permanente. Pour l'instant j'en suis ravi, mais si je dois attendre qu'elle s'endorme pour retrouver la paix et le silence, je crains d'en venir assez vite à verser de la valériane dans sa soucoupe de lait.
Soit, nous verrons. Ce n'est peut-être que l'explosion de mots qui suit un trop long moment de silence, une pression qui s'accumule lentement et qui se libère avec une brutalité impressionnante, mais brève. Nous verrons.
Sinon, au pire, je sais où trouver de la valériane.

Elle devient dithyrambique, ma cavalière à moustaches, quand elle décrit sa poule de prédilection. De fait, j'admets, parmi les poules c'est sans doute celle qui a un peu d'allure à faire valoir. Moins pataude que ses cousines, plus élancée, cette oiselle-là a un côté aristocratique. C'est la noblesse faite poule. Le petit "de" de la gent gallinacée. Oui, elle a raison là-dessus. Cette poule-là, sans égaler le paon magnifique qui la surclasse sans effort, a malgré tout quelques attraits.


"Et les omelettes je trouves ça d'une vulgarité sans borne et sans retour."

Et moi je glousse dans mon feuillage parce que la note d'indignation dans sa petite voix était vraiment cocasse.

Elle frémit entre mes branches, là-haut, et son corps menu est tendu, crispé, cramponné comme si la peur courait dans ses veines, teintée d'un peu de sang. Je m'inquiète. Que craint-elle ? Que croit-elle ? Dans quel délire sa cervelle bouillonnante l'a-t-elle cette fois emmenée ? J'hésite à lui dire un mot qui la rassure, car je n'ai pas la moindre idée de ce qui l'effraie. Alors je me contente d'avancer et d'être attentif. Ma progression la bercera peut-être. Ils sont nombreux à s'être endormis dans mes feuilles pendant que je marchais. J'espère que le froissement végétal qui accompagne notre avancée, le léger balancement, le lent défilement du paysage, tout ça l'apaisera. Je n'aime pas la sentir aussi agitée. Ca m'attriste.

La longue prairie que j'aime est proche, je vois son tapis émeraude se dérouler devant nous, derrière une ultime barrière de fougères dentelées et charnues. Je les traverse et nous y voici, dans la lumière somptueuse et profonde d'un début de nuit velouté, piqué d'étoiles miroitantes au loin, voilées par instants de nuages translucides ourlés d'argent par le lever de lune. Je m'avance et m'arrête là où j'aime à me tenir pour les voir au loin, campés sur les pentes et les abrupts de pierre, les palais et les tours, les temples et les monuments de la cité. Les lueurs s'y allument et on entend la musique, on peut presque sentir l'odeur du festin. Cette nuit sera pour célébrer la vie, l'instant présent et le futur qu'il désigne, c'est une nuit pour les rires et les chants, et je serai ici pour les sentir vibrer dans le vent, les voir caresser les fleurs nocturnes qui s'ouvrent à la face blanche de la lune. J'aimerais lui dire, à la petite bête crispée qui plante, malgré mon avertissement, ses griffes dans mon écorce, que rien ne peut lui faire de mal ici, mais je sais que c'est faux. Tout du moins puis-je lui offrir le refuge de mes frondaisons. Tant qu'elle y réside, elle est en sûreté.
Et moi, j'ai toujours la valériane.

Mais la voici qui voit ce que je vois, et qui ressent, peut-être, une part de ce qui frémit dans la brise. Je sens le changement en elle, le recul de la tourmente devant l'émerveillement, cette émotion simple et pure, aussi forte et immaculée que celle des enfants, ces êtres encore intouchés par les pudeurs idiotes qui musèlent leurs aînés. Elle aime ce qu'elle voit, elle irradie la joie, tout comme elle irradiait la détresse tantôt, et j'adore le gros câlin qu'elle fait à mon tronc rugueux. On ne câline jamais assez les arbres.

"Merde", dit-elle, et ça m'amuse d'entendre à quel point sa verve est tombée à plat. Disserter sur les poules, et lâcher ensuite un "merde" mal articulé, quel plaisant contraste. Je m'installe confortablement dans l'herbe, et prends la parole, avec la voix que j'ai pour endormir les oiseaux piailleurs.


- Voilà une de mes vues préférées du Royaume, à mon heure favorite. Tu les vois, les petites lumières ? Ils préparent une fête qui durera sans doute jusqu'à l'aube. On entendra la musique, elle vole bien au-dessus du lac, et c'est une belle musique, forte et douce, brillante. D'ici tu peux voir la tour blanche, la Chambre des Sacrements. Et ce reflet coloré, là, c'est le Dôme. J'y suis entré, il y a fort longtemps, rendre visite à un vieil ami. L'oeil de l'Ange était plein de soleil, je me demande, tiens, comment il apparaît sous la lune. Il faudra que j'y retourne.

Là contre la falaise, ce sont les mausolées de la Nécropole, et là, sur la crête, les palais de la Ville Haute. A droite, par là, c'est l'Arbre du Grand Cercle. Il est infiniment vieux, tellement qu'il ne dit plus qu'un mot ou deux par siècle. Enfin, un mot d'arbre, de ceux que tu ne peux entendre, évidemment. Si tu vas le voir, tu pourras l'embrasser lui aussi, du moins une de ses longues racines. Il aimera ça, j'en suis sûr. Et toi aussi, c'est un beau moyen d'embrasser de la magie pure, un moyen agréable. Et au-delà, c'est le marché, la Ville Basse, c'est un lieu où on meurt beaucoup mais curieusement on y vit aussi plus fort qu'ailleurs.

On ne le voit pas d'ici, mais sur le lac il y a le Palais des Délices, que ceux d'ici aiment à visiter, tu t'en doutes. Plus loin encore les haies du Labyrinthe. Mieux vaut ne pas t'en approcher. Pour l'instant.


Pour l'instant ?
Ai-je bien dit pour l'instant ?
Voilà qui est... voilà qui est intéressant. Est-ce que ça pourrait signifier que...

... déjà ?

Après tout, en doutais-je vraiment ?
Cette petite est folle. Elle a parfaitement sa place ici, par conséquent.

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Message  Murmure Mer 27 Mar - 15:18

« C'est beau... ces lumières... tout cet espaces.... c'est si .. ;
oui.
AH oui. »


Et je ne trouve pas les mots ni les gestes ni la posture.
mais rien.
rien de rien.

Au loin, je devine des monts colorés,
des crevasses en gradins,
qui jamais ne se rapprochent ni ne reculent, à la façon de ces désirs qui vous habitent une vie durant mais qu'on ne touchera jamais,
ni de la main pour les caresser ni du talon pour les saccager,
parce que le temps n'est pas venu et ne viendra peut-être jamais.

Je me laisser porter.
C'est bon.
Le vieil arbre dans ses foulées immenses n'a pas l'air d'avancer, c'est étrange,
et pourtant nous avançons, nous progressons,
et je gagne en confiance,
j'aspire à me perdre dans ce Royaume démesuré.

Son pas régulier et vaste comme un jet d'océan me fait somnoler un peu,
et le balancement de son pas me fait rêver de ce père imaginaire qui flotte dans ma conscience
à la façon d'un nuage dont la forme hélas change trop souvent.
Celui qui me prendrait sur ses genoux, comme maintenant,
le cul dans les feuillages qui bruissent et tanguent,
il me raconterait des histoires que je croquerais, que je goberais, que je déglutirais,
comme des friandises invraisemblables à déguster en fin de journée sur une balancelle
ou sous un porche,
parmi le hurlement des loups et les caquètements des poules,
à l'heure sacrée de la citronnade et de la chips royale.
Il me raconterait sa vie d'avant,
qu'il avait massacré des poules dans sa jeunesse et élevé des indiens en batterie,
s'était saoulé à l'huile de castorine et pris de passion pour les cabarets volants,
tout se mélangerait dans sa biographie et dans sa bouche :
le pittoresque serait une boule de neige qui refuserait de fondre.
Ah oui, comme elle saurait bien refuser pour m'amuser.


Et puis on s'arrête, on surplombe,
on se fond dans le paysage,
tout s'étend de tout son long
même ce qui s'élève pour piquer les étoiles.
Et c'est là qu'il faut décider de la suite.
Du chemin à prendre.
Je me doutais bien que j'arriverais tôt ou tard à un croisement.
Depuis quelques temps, déjà, je sentais en moi des bifurcations,
était-ce la conscience de plus en plus géométrique de mon destin,
le réseau de plus en plus fissuré de mes attentes,
ou tout simplement la route qui n'en pouvait plus d'onduler dans le paysage
– quoi qu'il en soit le moment de prendre une décision est venu,
et qui dit décision dit bien sûr rencontre.

Et rien ne me plaît davantage.

Est-ce ainsi que le monde commence... ?


A perte de vue, des champs écarlates sous la nuit ondulent sous une brise silencieuse, et au loin,
là où devrait vibrer la barre de l'horizon,
je distingue une brillance, qui m'attire plus que les autres, un halo de murailles et de tourelles.
La Cité.
Mais c'est l'obscurité qui m'attire sous la lumière, le trou de sa partie basse.

Couper à travers cette prairie majestueuse est une tentation à laquelle je ne saurais résister.
Je succombe vite aux senteurs languides des fleurs.
Et je bondis de ma cachette.
Car j'y suis si bien que je pourrais m'y endormir pour toujours et faire corps avec elle.
Mais ce n'est pas ma route, ça, le sommeil.
Je ne veux pas rêver toujours en me laissant bercer.

A peine me suis-je élancée dans cette mer végétale, la patte leste piquée de rosée de nuit,
que je sens céder toutes les résistances.
La tête me tourne comme autrefois la terre.

Un vertige nouveau choisit mes nerfs l'un après l'autre, les nomme, les distingue ;
une poudre de pollen se dépose sur mon poil ;
chaque pore, dessous, devient un filtre hypersensible,
le cuir d'un tambour chargé de répercuter les battements intérieurs et les vibrations extérieurs.

Je regarde brusquement ma main droite qui gratte et je la vois se changer en main gauche,
celle-ci s'est transformée en main droite ;
je crois avancer alors que je recule ;
il faut dire que je n’ai pas demandé la permission d'y aller, là-bas,
c'est sûrement ça,
et la magie me tient, m’empêche ;
je lève les yeux pour scruter le ciel mais c'est le champ qui fonce vers mon front et
je m'étale entre les tiges en voyant mes paumes gonfler comme des voiles.

Qu'est-ce que c'est que ce trafic....

un insecte minuscule escalade mon avant-bras et je parviens sans le moindre effort à compter chacune de ses microscopiques articulations,
je sens même battre son cœur sous la carapace brune.
Quand l'insecte parvient à la naissance de mon cou, je sais tout de lui, j'ai inféré de ses pattes toutes les branches parcourues,
toutes les larves roulées,
toutes les gouttes de rosée fendues.





« Mais... mais... qu'estcec'est.... »


Un papillon de nuit vrombit un court instant au dessus de mon visage et je disparais avec délectation dans les cadences de ses ailes,
que je décompose et classe selon leur fréquence.
Mon vieux compagnon me parle, il m'exhorte à me relever et à le suivre,
mais je malaxe ses paroles et en fait une matière servile que j'étale sur mon corps,
c'est un manteau de peau grasse,
je deviens loutre,
une rivière s'invente autour du tracé de mon corps,
je me laisse glisser, sous mon dos passent des galets et des herbes,
et peut-être est-il temps de commencer à mourir.

Peut-être que c'est ça la magie.
apprendre à mourir.

Heureusement il y a la peur, aussi insécable qu'un atome,
que même le plus pur pavot ne saurait totalement annihiler.
Je suis une Indienne dans un campement assiégé par l'armée,
une poule prisonnière d'un enclos qui vient de surprendre un renard,
un monstre de foire qui voit son pied s'emmêler dans les cordes d'une nacelle.
Quelque chose
ne va


pas.

Mon cœur bat de moins en moins vite, ou plutôt c'est comme si ses battements se faisaient à rebours, mon sang se fractionne en gouttes et chaque goutte tourne sur elle-même de peur de couler dans la mauvaise direction.
Dans mes poumons, l'air a séché, les prairies grises me réclament, je les entend, quelque part enfouis sous le tapis des fleurs.
Mais je ne veux pas y aller !
Je ne veux pas y retourner !
Vous ferez sans moi.

Est-ce ainsi que le monde commence ?
Par une syncope ?
Un collapsus sans centre ni périphérie ?
Un désir de torpeur ?
D'abord le gris des prairies, puis le jaune des routes et maintenant le rouge des fleurs,
la vue qui se brouille et quand plus rien ne bouge tout s'achève à l'heure de recommencer,
à quelques lieues du mirage lumineux de la ville et de ses souterrains.

Mais non...


« MAIS NON ! »

J'ai presque crié dans le silence de la musique.

« Dis...
Je voudrais aller là bas, vers les lumières de la ville.
Mais pas là où ça cligne, juste en dessous, là où on ne voit plus un chat dans le noir des ruelles,
là où ça grouille.
Là où tu dis que c'est là qu'on meurt mais qu'on vit plus qu'ailleurs.
Mais va falloir m'aider, je me sens toute chose et je sens des trucs bizarres et clouée au sol,
comme si la terre refusait que j'avance de mon propre chef...

C'est parce que j'ai pas demandé que je peux pas aller plus loin ? »
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Message  L'homme-arbre Mar 2 Avr - 21:04

Ma petite compagne me quitte, je la vois s'élancer dans les hautes herbes élastiques, cabrioler comme un jeune animal ivre de vie et de lune, folle et désordonnée, et je la trouve gracieuse et comique, à s'agiter, à se frotter le museau d'un air incrédule, à se vautrer par terre en ouvrant des grands yeux pleins de délices et d'incompréhension.

Suis-je un vieux farceur de l'avoir débarquée ici dans une prairie pleine de petits buissons d'herbe-à-chats...

Son extase a quelque chose de frénétique et de désespéré. Elle roule et se tord et s'immobilise, petit miaou à fleur de museau, roule encore et se fige, j'avoue qu'elle commence à me faire peur avec ses pupilles immenses comme des becs d'oisillons, larges ouvertes et affamées. Il est temps de lui rendre la raison, ou juste assez de raison pour en rire...


- Allons petite, laisses-en un peu pour les autres, est-il possible d'être aussi gloutonne ? On dirait que tu n'as jamais pris une petite bouffée de cataire...

Mais elle ne réagit pas, ou à peine, un ondoiement de son corps abandonné et un grand ronron éperdu. Décidément, il va falloir intervenir.

Je suis à un instant de la saucissonner de branches pour la sortir de son bain d'aromatiques, de force sinon de gré, puisque le gré a l'air un tantinet en panne, quand elle se raidit brusquement et s'assied, toute droite. L'énoncé de son souhait me laisse coi, car elle poursuit, et je me sens un peu honteux de l'avoir ainsi prise en traître. Il faut dire à ma décharge que je n'avais jamais constaté pareil effet sur ceux de son espèce, même les plus petits. Une sensibilité exceptionnelle, sans doute, ou une sorte d'allergie ? En tout cas une grosse bêtise, qu'il convient de se faire pardonner.

Je la cueille dans son écrin mentholé, les branches délicates et rassemblées en nid. Penaud, je la sors de son piège et la ramène à moi, au-dessus des senteurs prenantes qui se dégagent des plantes qu'elle a froissé sous elle.


- Ce n'est pas pour ça, petite, du moins je ne crois pas. La magie d'ici a parfois arrêté des visiteurs indésirables, mais pas de cette manière. Ici, c'est juste les odeurs qui t'ont noyée. Je... hum...

Il faut que je te demande pardon, ces herbes sont connues pour plaire aux chats. Je ne t'ai pas prévenue, c'était un peu exprès. J'ai pensé que nous en ririons ensemble, mais ce n'était pas si drôle.


De fait, maintenant que j'y pense, ce lieu pourrait se révéler pour elle un véritable piège. Pourtant je ne ressens rien ici qui la repousse, rien qui la rejette, il ne s'agit pas de ça. Voilà qui me laisse perplexe, parce que sa question finale ne manque pas de bon sens.

- Tu n'avais pas à demander. Si un lieu d'ici refuse de se laisser parcourir par toi, tu le sauras sans le moindre doute. Il y a des choses sournoises ici, même des choses maléfiques, mais la terre n'est rien de tout cela. Elle est seulement magique, et la magie n'est ni sournoise ni maléfique.

J'ai repris ma route, sans hâte, et je la berce dans la nacelle de branches que j'ai tissée pour elle. Je descends vers les arbres en bas de la pente, vers le lac et le pont, vers le but qu'elle m'a désigné.

- Je t'emmènerai plus près de la cité, et t'indiquerai le chemin des ruelles si tu veux les parcourir. Il y en aura pour te faire obstacle, oui, et des dangereux, même. Tu seras prudente, j'espère.

Elle, prudente... Oui je sais, c'est idiot, mais la recommandation m'a échappé.

- Il y a des lieux qui te repousseront, d'autres qui t'attireront. Ne résiste pas, accepte. Il y aura un moment où tu voudras traverser l'Agora et entrer dans le Dôme. Tu le sentiras. Quand le moment viendra, pense à ce que je t'ai dit. Ne résiste pas. Ce sera plus fort que toi.

Un peu comme une autre tornade.


Les arbres sont autour de nous, à nouveau. Quand nous en sortirons de l'autre côté du bois, je sais que nous entendrons clairement la musique.
L'homme-arbre
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Message  Murmure Mar 30 Avr - 17:15

C'est un très long voyage, une migration vers d'autres états de conscience, d'autres conditions de déperdition;
D'autres pulsions aussi.
Je suis debout.
Loin des fleurs.
Et il faut bien que je me tienne éloignée de ces choses qui me collent au sol comme une crêpe.

Murmure reste Murmure mais elle devient toutes sortes de choses possibles.
Et puis elle s'envole à nouveau dans les branches de l'Ent.
Elle laisse passer sous elle l'océan susceptible des corolles.


"Tu sais, j'aurai pu devenir une ouvrière dans un atelier d'horlogerie si je n'étais pas partie, à sucer la pointe de pinceaux nimbés de radium, et je me félicite de ma décision, de cette fugue"

Mais les aiguilles tournent ; déjà un nouvel orage remodèle son paysage mental.

"J'aurai pu travailler dans la quincaillerie familiale et vendre des aspirateurs,
du grillage pour poulailler,
du barbelé au mètre,
je prolonge mon avenir au delà du raisonnable en venant ici,
je fais exploser le monde et puis et puis je meurs à celui ci, et puis je renais et puis j'oublie,
et j'accomplis des milliers de gestes dans tes bras en un seul mouvement et puis j’échafaude cent stratégies d'une seule décision."


Son double s'agite.
Son double l'accompagne partout, elle ne lui en a pas parlé encore, pour ne pas l'effrayer, mais peut être qu'ici rien ne s'effraie.
Surtout pas lui.

Et son double mord son ombre chaque fois qu'elle court un danger pour réveiller cette vigilance qui est comme l'armature de son être.
Comme un petit clébard. Il la mord.
Juste là, maintenant.


« Dis, vieil arbre, toi qui est si sage et si vieux, est ce que tu sais pourquoi les chiens tournent toujours au moins une fois sur eux-mêmes avant de s'allonger ?
Est-ce que tu penses qu'ils s'assurent ainsi qu'aucun prédateur ne menace leur territoire ? »

Elle ne lui laisse pas le temps de répondre bien sûr. Car au fond ce n'était pas une question. Elle aurait bien aimé pourtant.
Mais elle craint les réponses qui ne lui conviennent pas.


« Faux ! Les chiens tournent sur eux-mêmes dans le sens contraire de la rotation terrestre, afin de contrebalancer cette entropie qui nous entraîne vers le chaos !
Ils reculent d'un tour, par une sorte de prudence horlogère, et de la sorte sont en avance, et non en retard, sur la catastrophe à laquelle nous vouons tous nos espoirs.
Voilà ! Tout est dit ! C'est complètement fou ! »

La tornade de ce royaume qu'elle pénètre est un tour, et l'argile de son corps fauve se laisse façonner,
des seins hésitent dans sa poitrine et ses cuisses envisagent autre chose que la marche pour se déplacer dans ce lieu magique.
Elle change déjà, Murmure.

Elle voit défiler des paysages qui ne se contentent plus de louer l'alternance de cultures et des saisons,
distingue de longues balafres, là bas, des voies ferrées qu'elle imagine,
relient entre elles les tumeurs de béton et de fumée,
des trains qui découpent les montagnes et écrasent les fleuves dans une clameur soutenue.
Elle imagine des hommes aller de plus en plus vite, leurs traits déformés,
leurs femmes comme arrêtées, les enfants déjà soumis, elle entend râler des moteurs et claquer les drapeaux,
voit défiler des fanfares dans les avenues des grandes villes,
des choses ramper dans les ruelles colorées et crasseuses,
elle comprend que le gris n'a plus sa place dans le spectre de la vie.

Elle subodore d'autres tornades.
Il dit ce mot, tornade.

Elle y pense dans son rêve éveillé, ce qu'elle projette de la ville qui mugit derrière les remparts.
Certaines sont minuscules et élevées en laboratoire, elles font le pitre sous l’œil des sorciers ;
d'autres éclosent dans le ciel, et dans leur chute elles inventent des couleurs qui nourrissent les flammes.
D'autres encore, plus discrètes, sont en papier, mais leur forme rectangulaire est un leurre,
car une seule signature suffit à mettre en branle,
un trait d'encre et voilà mille relais qui bruissent, cent mille qui hurlent, des millions qui pourrissent.

A la longue, toutes échappent au contrôle des soufflets humains qui les alimentent,
toutes se reproduisent, se divisent, essaiment.
Et chaque fois l'espace qu'elles dévastent paraît plus noir, plus concret.

Elle s'appelle Murmure et elle comprend qu'il s'agit d'autre chose que d'une expédition punitive dans l'imaginaire.
Un choc la réveille.
Un choc si puissant qu'il réveille au sein de l'éveil certaines forces qu'elle croyait captives de la douleur ou de la surprise.

Elle sent qu'elle a changé, mais est-ce par soustraction ou addition, déplacement ou égarement, voilà qui reste à voir,
et justement elle voit, par la fenêtre du feuillage elle voit,
non pas le gris spectacle de son terreau natale,
mais du vert, encore du vert, et puis du rouge, et puis du jaune, du violet,
elle voit des nuances comme autant de visages, elle voit le vert avant de voir l'herbe,
et les arbres, le rouge avant de voir la fleur, le jaune avant de voir le soleil.

Son double est tout excité.

Est-ce ainsi que finit le monde pour mieux recommencer ?
Elle est encore ivre du parfum des fleurs.


"Mais Oncle Tic ? Mais tante Tac ?
Qu'est ce qui ne tournait pas rond chez eux pour que la tornade les épargne et les laisse en terre comme deux gris tubercules ?"


Elle chasse cette question d'un haussement d'épaules que duplique son double
(dont elle vous dira le nom, mais bien plus tard) :
elle n'est plus dans la plaine grise et la plaine grise n'est plus en elle.

Elle essaie de compter les arbres qui défilent lentement, elle les compte à rebours, jusqu'au dernier qui borde la fin du chemin.


« Tu sais, Oncle tic passait ses soirées et ses matinées à compter et recompter le bétail,
et il ne supportait pas quand il se trompait dans son recensement,
à croire que c'étaient les bêtes qui cherchaient à le tromper, se dédoublaient ou se confondaient.
Il avait autant peur d'en perdre que de découvrir qu'il possédait de nouvelles bêtes.
L'idée du bétail ne souffre pas le principe d'instabilité, c'est ce qu'il disait,
et une génisse de trop n'aurait pas nourri une bouche de trop car il n'y avait pas de bouche de trop.

Je ne sais pas bien pourquoi je te raconte ça.
C'est comme ça.
On est amis maintenant.
Hein ?

J'accepterai, tu sais, tout ce que tu dis.
Tu peux me dire les chemins que je devrai parcourir seule. »
Murmure
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